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pusillanimité; son renoncement est une nouvelle preuve d’affection dont Marie lui tiendra compte, et qu’elle enferme dans son cœur comme un souvenir précieux. Pour lui, le bonheur n’est pas dans la possession, mais dans l’image vivante et fidèle des premières années, des études et des jeux partagés, des oiseaux dénichés, des baisers cueillis à la dérobée sur le cou frais et brun de la jeune fille. Qu’elle soit heureuse aux bras du jeune fermier, pourvu qu’elle soit heureuse!

Le livre de la Fleur d’or, qui s’appelait d’abord les Ternaires, et dont M. Brizeux a très heureusement changé le baptême, puisqu’un très petit nombre d’initiés avaient réussi à pénétrer le sens de ce titre mystérieux, nous montre le talent de l’auteur sous un aspect nouveau. Dans le domaine de l’intelligence pure, c’est un progrès que personne ne peut contester; dans le domaine de la poésie, le progrès est-il aussi évident ? Les esprits les plus bienveillans ont le droit d’en douter. A l’émotion naïve qui remplissait le poème de Marie, M. Brizeux a voulu substituer la science, la philosophie, l’analyse des symboles. C’est là une tentative dont je n’entends pas nier l’utilité comme gymnastique intellectuelle, mais qui n’arrivera jamais à séduire la foule. Quant aux âmes d’élite, qui aiment à pénétrer le sens intime des choses, à se rendre compte de leurs impressions, pour qui la vie tout entière, la vie de chaque jour, n’est qu’une leçon permanente, un livre toujours ouvert, dont toutes les pages méritent d’être méditées, elles préfèrent à bon droit la philosophie qui s’annonce franchement sous le nom qui lui appartient et n’appelle pas à son secours l’attrait de la poésie. Sans vouloir interdire aux poètes l’enseignement, je pense qu’ils doivent le voiler. Lorsqu’ils entreprennent l’enseignement explicite, ils s’exposent à une dangereuse comparaison : les philosophes les dominent de toute la netteté de leur langage. Que l’analyse des passions, la connaissance complète de nos facultés servent de guides et de conseils aux poètes, rien de mieux, rien de plus sage, je l’ai dit maintes fois et je ne me lasserai pas de le redire; mais ce n’est pas une raison pour combler d’un trait de plume l’intervalle qui sépare la philosophie de la poésie : le livre de la Fleur d’or est là pour démontrer tous les périls d’une telle tentative. Il y a dans ce recueil plus d’une page émouvante; l’auteur, malgré sa résolution de philosopher, ne pouvait se dépouiller complètement de sa nature primitive : il faut pourtant reconnaître que ces pages sont en trop petit nombre. L’émotion, dont la poésie ne peut se passer, tient trop peu de place dans ce livre, d’ailleurs si digne d’estime et d’étude; c’est plutôt une suite de réflexions qu’un recueil vraiment poétique. Le lecteur a beau reconnaître que l’auteur a presque toujours raison, qu’il exprime dans