Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/745

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

première place dans les travaux de leurs devanciers. Ils accueillent par un sourire dédaigneux ces importuns souvenirs. Grétry, qui charmait lai génération précédente; Haydn, dont les touchantes mélodies ravissaient d’aise les vieillards qui nous ont tenus sur leurs genoux, sont à leurs yeux de pauvres esprits. C’est à peine si ces artistes consommés, ces symphonistes érudits veulent bien faire grâce à Mozart, car ils reprochent à sa musique de chambre un peu de maigreur. Je n’ai pas à expliquer les motifs de leur sévérité envers Grétry, Haydn et Mozart. Ces maîtres illustres sentaient et pensaient avant de prendre la plume; c’est là une faiblesse, un travers qu’on ne saurait leur pardonner. Aujourd’hui la musique repose sur de plus solides fondemens que l’émotion et la pensée. Pourvu qu’on sache exposer avec le secours des instrumens à cordes un thème vieux ou nouveau, peu importe, et le moduler sur le cor, sur la trompette, on est sûr d’obtenir de nombreux applaudissemens. Les hommes de goût et de bon sens font la moue en écoutant ces pauvretés; mais que peut leur mauvaise humeur contre les battemens de mains ? La musique aujourd’hui ne s’adresse qu’aux oreilles, comme la peinture et la statuaire ne s’adressent qu’aux yeux. Je n’ai pas besoin d’indiquer les exceptions; elles sont assez rares pour qu’on n’ait pas grand’peine à se les rappeler.

Ou je m’abuse étrangement, ou M. Brizeux partage toutes mes répugnances à l’égard des peintres, des statuaires et des musiciens qui négligent l’émotion et ne cherchent qu’à étonner. Les vers qu’il a écrits depuis vingt-trois ans révèlent avant tout une nature sincère. Il ne parle pas pour le plaisir de parler; il se tait quand il n’a rien à dire. Il laisse à d’autres le soin puéril d’enchâsser dans des strophes étincelantes des simulacres de pensées; il se contente de raconter simplement ce qu’il a senti. Dans le domaine de la poésie, il n’a jamais confondu le but et les moyens. Il ne décrit pas pour décrire, il décrit pour donner à ses personnages plus de vie et de relief. Il se préoccupe du paysage, mais dans une juste mesure, et n’oublie jamais l’homme pour le cadre où il a résolu de le placer. Il met l’attendrissement au-dessus de l’étonnement, et pour ma part je lui en sais bon gré. Que d’autres lui reprochent de pousser parfois la simplicité jusqu’à l’ingénuité enfantine : lors même qu’il abuserait de la simplicité, et ce n’est pas mon avis, je lui pardonnerais de grand cœur, car je suis las des images qui n’expriment aucune pensée, comme je suis las des draperies qui ne révèlent pas la forme du corps.

Lorsque parut le poème de Marie, il fut accueilli par l’étonnement et la joie. Tous les hommes de goût s’empressèrent à l’envi de louer les rares qualités qui distinguent ce recueil. C’est tour à tour en