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des Sabins sur la colline qui Porte leur nom (Quirites, Quirinal) était dangereuse pour la petite ville de Romulus. Si l’on veut se rendre compte de ce danger, il faut rétablir par la pensée l’ancienne disposition des lieux. Aujourd’hui une vallée sépare le Quirinal du Capitole : cette vallée est l’œuvre de Trajan, qui abaissa le sol de cent pieds pour bâtir son forum et sa basilique, et donna cette hauteur à sa colonne, comme nous l’apprend une inscription gravée sur la colonne même; mais primitivement les sommets du Quirinal et du Capitole se touchaient. Le Capitole formait la continuation du Quirinal, où les Sabins étaient postés. Ils pouvaient aller de plain-pied de leur campement jusqu’à la base de la roche tarpéienne, c’est-à-dire de la citadelle de Romulus. De plus, le Quirinal a plus de surface que le Palatin, et tandis que celui-ci est entièrement isolé, le mont Sabin est soudé au Viminal, qui lui-même l’est à l’Esquilin, la plus considérable des sept collines. Le Quirinal, le Viminal, l’Esquilin s’avancent vers le Capitole et le Palatin comme les trois doigts d’une main dont la paume serait la campagne romaine. Rien n’indique que d’autres populations fussent en possession du Viminal et de l’Esquilin; on peut donc regarder toute cette portion orientale de Rome comme ayant été occupée par les Sabins. De ce côté, les montagnes de la Sabine s’élèvent à huit ou dix lieues; les Sabins pouvaient donc être en communication avec leur pays, et comme d’un poste avancé menacer les hommes de Romulus isolés sur le Palatin, séparés par une vallée de leur citadelle du Capitole, tandis que celui-ci, formant comme un prolongement du Quirinal, était sans cesse exposé à être envahi par les Sabins. Il le fut en effet dans la guerre contre Tatius, et la citadelle placée sur la cime la plus escarpée et la plus éloignée du Quirinal eut le même sort. Aussi, à travers les réticences inspirées aux historiens romains par l’orgueil national, on aperçoit très clairement que les Sabins eurent l’avantage dans cette guerre, et qu’elle finit par un véritable assujettissement des Romains.

On a vu que j’étais très éloigné d’un scepticisme systématique; mais il faudrait une crédulité bien confiante pour prendre au pied de la lettre les récits des historiens romains sur les époques primitives, quand Tite-Live lui-même, dans sa préface, les donne pour une sorte de poésie. En outre la partialité pour les Romains est évidente chez leurs annalistes. Comme le dit naïvement un scoliaste, « lorsqu’ils arrivent à quelque malheur du peuple romain, ils ne disent rien et passent outre de peur de sembler s’en réjouir. » Il me paraît certain que la domination des Sabins sur les Romains a été dissimulée, mais a laissé pourtant d’irrécusables vestiges.

En effet, quand Romulus a mystérieusement disparu, c’est un roi