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c’est-à-dire un fossé et un rempart formé par la terre rejetée en dehors du fossé. Ainsi jusqu’au dernier jour de l’empire, dans toutes les parties du monde où ils portèrent leurs aigles victorieuses, depuis les déserts de l’Orient jusqu’au fond des forêts de la Germanie, les Romains dessinèrent et fortifièrent leur camp d’après le type sacré de la Rome primitive, dont le Palatin nous montre encore aujourd’hui la forme quadrangulaire, et dont le camp était l’image.

A cette délimitation augurale de la Rome du Palatin se rattache le récit de la mort de Rémus, tué, disait-on, par son frère pour avoir franchi par dérision le fossé que celui-ci avait creusé. Si l’on se souvient que Rémus prit les auspices sur le mont Aventin, ainsi nommé d’un roi d’Albe, Aventinus, à qui la tradition donne un Rémus pour père, et si l’on considère que la tradition plaçait aussi sur l’Aventin une ville de Remuria, on arrivera, je pense, à trouver bien vraisemblable que le meurtre de Rémus, dont les circonstances sont un peu singulières, soit l’expression légendaire de la destruction de la cité albaine de l’Aventin par la Rome primitive fondée sur le Palatin. Le chef de cette cité albaine pouvait facilement être appelé frère de Romulus, puisque celui-ci passait pour descendre des rois d’Albe. Ce chef ne fut pas mis à mort pour avoir sauté en se jouant par-dessus un fossé, mais, ayant franchi les armes à la main le fossé et le rempart qui marquaient autour de la ville l’enceinte consacrée par la religion, c’est-à-dire ayant envahi Rome, lui et son peuple furent exterminés.

Le mont Aventin, qui s’élève en face du mont Palatin comme un rival et un ennemi, a toujours été un mont funeste. La tradition y plaçait l’augure néfaste de Rémus suivi du fratricide. Jamais sous la république on ne l’admit dans l’enceinte sacrée de Rome, qu’on appelait le Pomœrium, pour cette raison, les plébéiens, les déshérités des privilèges religieux et du pouvoir politique s’y retirèrent à plusieurs reprises comme sur le mont sacré. Là Caïus Gracchus lutta une dernière fois pour les droits populaires. Là il fut vaincu, et, fugitif devant l’aristocratie triomphante, descendit à pas précipités les pentes rapides de l’Aventin pour aller, de l’autre côté du Tibre, tomber sous le fer patricien dans le bois consacré aux furies vengeresses. Ce passé sinistre semble encore planer sur l’Aventin désert. C’est la plus abandonnée des collines de Rome. Nul n’y habite à cette heure, sauf quelques moines. Ses églises dispersées dans la solitude lui donnent un aspect désolé qui semble raconter sa lugubre histoire.

Le Quirinal devait être plus formidable que l’Aventin pour le Palatin et le Capitole. Il est aisé de comprendre combien la présence