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Aussi durable, aussi indestructible que les murs élevés par ces peuples, dont la destinée était de périr en laissant des vestiges impérissables, ce nom est presque le seul parmi ceux des villes anciennes d’Italie qui ne se soit pas altéré en traversant les siècles. Florentia s’est changé en Firenze, Neapolis en Napoli, Mediolanum en Milano, Bononia en Bologna; Rome s’appelle encore, et, on peut le croire, s’appellera toujours Roma.

On ne s’attend pas à trouver des monumens de la visite d’Énée au roi Évandre, visite dont nous n’avons pas d’autre garant que Virgile, ni même de la venue plus que douteuse des Troyens dans le Latium. Pour trouver aujourd’hui un vestige de la présence d’Énée en Italie, il faudrait admettre avec la tradition populaire, répétée par les ciceroni du lieu, qu’un certain anneau de fer à Lanuvium est l’anneau même auquel Énée attacha son vaisseau. Lanuvium est assez loin de la mer, et la seule ressemblance du nom l’a fait confondre avec Lavinium, voisin du lieu où l’on plaçait le débarquement d’Énée. Chacun voit quel compte on peut faire de cet anneau. Ce qui est vraiment curieux, c’est que le souvenir de la tradition adoptée par Virgile, qui faisait des fugitifs de Troie les ancêtres des Romains, vive encore aujourd’hui dans le peuple de Rome. L’homme du Trastevere, quartier dont les habitans se croient, peut-être avec raison, les plus purs descendans des anciens Romains, l’homme du Trastevere ne s’en tient pas là, mais dit qu’il est de sang troyen, sangue trojano. La truie fatidique est figurée sur la Porte d’Albano, et un bas-relief qui la représente avec sa progéniture se voit dans une rue de Rome à laquelle il donne le nom de rue de la Truie (via della Scropha), C’est ainsi qu’on montre aux étrangers le tombeau d’Anténor dans une rue de Padoue.

Revenons à Rome ou plutôt à ce qui va être Rome. Il y a des Arcadiens sur le Palatin, des Albains sur l’Aventin, des Latins sur le Janicule. Nous l’avons appris des noms mêmes de ces collines[1]. Rome, qui doit les renfermer dans son sein, n’existe pas encore. D’où sortira-t-elle cette Rome, jusqu’à cette heure invisible ? Il semble qu’il n’y a pas de place pour elle. Les cimes sont occupées, elle sortira de la fange d’un marécage.

Là où l’Aventin domine le Tibre de ses pentes escarpées, commençaient des marais qui, se confondant avec les débordemens perpétuels du Tibre, s’étendaient entre le Capitole et le Palatin, puis, tournant la base de ce dernier, venaient se répandre dans l’enfoncement où depuis fut le Forum. Ces marais portaient le nom étrusque

  1. Nous avons vu du moins qu’elles ont été occupées par ces différens peuples, et il n’y a aucune raison de croire que tous les aient abandonnées au moment où Rome paraît.