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les mêmes engagemens que celui du 2 décembre, à quoi bon une transaction nouvelle et distincte ? S’il devait être moins explicite, de quel prix pouvait-il être pour l’Angleterre et la France ? Le cabinet de Berlin a fini par ne plus rien demander, et alors il a eu recours à son expédient habituel. Après avoir envoyé M. d’Usedom à Londres, le colonel de Manteuffel à Vienne, il a envoyé le général de Wedel à Paris. Quel est le but de cette mission nouvelle ? Il serait certainement inutile de lui attribuer un sens trop significatif. Le général de Wedel vient à Paris pour protester des bonnes dispositions de la Prusse, pour garantir la sincérité de la Russie, pour proclamer les bienfaits de la paix. Vis-à-vis de l’Autriche, la conduite de la Prusse n’est pas moins singulière. Le cabinet de Berlin oppose, le refus le plus formel à la demande que lui adresse le cabinet de Vienne de mettre ses forces sur pied. Non-seulement il refuse quant à lui, mais dans la diète même il s’oppose à la mobilisation des contingens fédéraux réclamée par l’Autriche, — et chose étrange, au moment même où elle décline tous les engagemens, où elle s’ingénie à éluder toutes les responsabilités, la Prusse revendique le droit de participer aux négociations qui vont s’ouvrir, comme grande puissance et comme signataire du traité du 13 juillet 1841. Ainsi donc c’est en ces termes que la question est aujourd’hui poste au sein de la diète. Le cabinet de Vienne propose la mobilisation des forces fédérales, et il est combattu pur la Prusse, qui a immédiatement manifesté son opposition. L’Autriche aura sans doute pour elle le Hanovre, Nassau, Hesse-Darmatadt, Bade, peut-être le Wurtemberg ; mais cela ne suffirait pas pour constituer en sa faveur une majorité. Au dernier moment, la Bavière pourrait incliner vers l’Autriche, à la condition toutefois de la chute du premier ministre, M. von dar Pfordten. Si l’on veut au reste se faire une idée des racines jetées par l’influence russe parmi tous ces états germaniques, un mot récent prononcé par un des souverains de l’Allemagne le révèle assez : « Comment aurions-nous la paix ? disait avec une simplicité naïve ce souverain ; on traite l’empereur Nicolas comme un homme, et par ses glandes qualités c’est plus qu’un homme, c’est presque l’égal du créateur ! »

La politique la plus étrange en tout cela, sans contredit c’est celle de la Prusse cherchant à se soustraire à tout devoir et finissant par revendiquer le droit d’intervenir dans la solution de la crise qui pèse sur l’Europe, c’est là aussi ce qui fait la gravité de la situation de l’Allemagne. Il arrive malheureusement ici ce qui ne pouvait manquer d’arriver, c’est qu’après avoir épuisé tous les subterfuges, tous les faux-fuyans d’une politique complètement chimérique, pour éluder les obligations d’une grande puissance, la Prusse se réveille tout à coup à l’heure la plus décisive, étant sans engagemens, il est vrai, mais aussi sans influence, — et comme cela n’est jamais agréable de s’avouer qu’on n’agit point en grande puissance, la Prusse se révolte presque ; le cabinet de Berlin déclare qu’il se montrera inébranlable, qu’il fera appel à la fidélité et au courage du peuple, prussien, si on persiste à l’écarter des négociations, comme on parait devoir le faire. Certes personne en Europe n’a contesté à la Prusse son rang, sa position, son influence ; nul n’a parlé avec dédain du peuple prussien. Ce n’est pas l’Europe qui a amoindri la Prusse, c’est la Prusse qui s’amoindrit elle-même. Il faut bien le remar-