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des cérémonies religieuses et des conséquences de la guerre, ils sont des divertissemens nationaux. Ils n’ont pas seulement pour but d’apaiser la colère des dieux, mais encore d’apaiser la soif de sang des rois morts. Canot et ses compagnons furent invités par le roi de Dahomey à assister à une cérémonie de ce genre qui eut lieu à Abomey, capitale de son empire. On donna aux étrangers les meilleures places, afin qu’ils pussent tout à leur aise contempler cette affreuse cérémonie. Le 6 mai 1830 (un tel spectacle est en effet une date pour l’homme qui en a été témoin) commença ce grand divertissement, qui devait durer cinq jours, et qui avait été retardé faute de victimes. dès le matin, deux cents amazones de la garde royale (l’aimable souverain possède une garde composée de femmes qui ne le cèdent pas en cruauté au Cafre le plus féroce), nues jusqu’à la ceinture, ornées de bijoux et de colliers, armées de coutelas énormes, apparurent sur la place où devait s’accomplir le sacrifice. Cet espace était entouré de pieux de neuf pieds de haut environ et garnis de ronces gigantesques. À l’intérieur, cinquante captifs liés à des poteaux attendaient la mort. À un signal du roi, cent de ces amazones s’élancèrent en poussant leur cri de guerre et en brandissant leurs coutelas par-dessus la palissade, et revinrent déposer leurs cinquante victimes hurlantes aux pieds du roi. Leur visage et leurs membres, déchirés par les ronces et les pieux, ruisselaient de sang. Le roi appela l’amazone qui avait franchi la première la palissade, saisit un sabre qui brillait à ses côtés, et trancha la tête de l’une des victimes. L’amazone, se tournant alors vers les blancs spectateurs de cette scène, leur offrit le sabre sanglant en les engageant à se procurer le plaisir que le roi venait de goûter ; mais aucun des spectateurs n’acceptant cette politesse, les amazones se mirent à l’œuvre, et l’une après l’autre les cinquante têtes tombèrent, jusqu’à ce qu’enfin, vers midi, les viragos, lasses de carnage et soûles de sang et de rhum, se retirèrent sous leurs tentes. Pendant cinq jours consécutifs, les rues d’Abomey retentirent des cris de ces furies et des hurlemens des victimes. Le sixième, la ville reprit sa physionomie habituelle, comme si rien d’extraordinaire ne s’était passé les jours précédens.

Ailleurs heureusement on ne rencontre pas le même amour du meurtre, mais en revanche les prêtres ont pour le sang des vierges une affection toute particulière, et à Lagos Canot fut témoin d’une scène qui ressemblait à un sabbat de nécromanciens. Au mois de novembre, le roi annonce par édit à ses sujets que son juju ou grand-prêtre commencera les jours suivans sa ronde annuelle autour de la ville, et que défense est faite au peuple de rester dehors après le coucher du soleil. À minuit, le juju sort, vêtu d’un costume