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de Canot étant la traite et non le Koran, on pensa à des affaires plus importantes. Dès que le bruit se répandit parmi les tribus foullahs que Canot était venu pour acheter des esclaves, une terreur panique s’empara d’elles, et partout elles s’enfuyaient sur le passage de l’aventurier et de ses illustres hôtes, laissant derrière elles leurs repas à demi préparés dans leurs cabanes. Il fallut faire la chasse aux nègres. Des détachemens armés, commandés par Sulimani-Ali, un des fils du roi, allèrent traquer dans les bois et les sentiers les fugitifs de deux ou trois villages voisins, et revinrent quelques heures après avec une riche capture. Alors la frayeur que Canot avait d’abord excitée se changea en haine. Les pauvres gens le regardaient comme le diable incarné. Plusieurs fois il vit les femmes lancer contre lui de la poussière et des cendres en murmurant une prière du Koran, et il partit de Timbo parfaitement exécré et impopulaire.

La peinture que trace l’auteur des mœurs de la cour de Timbo et des tribus foullahs peut nous renseigner parfaitement sur l’influence civilisatrice du mahométisme. Il est incontestable que le Koran a donné à ces populations des mœurs plus douces, plus régulières et plus industrieuses. Canot raconte qu’il n’a jamais vu à Timbo un homme ou une femme étendu au soleil, selon l’habitude africaine, et prenant plaisir à ne rien faire. Timbo compte environ dix mille habitans, qui se livrent aux industries civilisées, qui tissent le colon, forgent le fer, travaillent le cuir, labourent les champs. Les riches ou les gens aisés du pays passent leur temps à lire et à écrire ; les femmes travaillent constamment, sont généralement plus chastes que celles des autres tribus, s’habillent avec plus de goût. Telles sont quelques-unes des vertus que ces populations doivent au mahométisme. Voici le revers de la médaille. Les sujets païens d’Ali-Mami sont, non pas convertis, mais vendus comme esclaves, et l’esclavage ne menace pas seulement les païens ; il peut atteindre aussi les musulmans, selon le caprice du prince. Aussitôt après son retour sur les bords du Rio-Pongo, Canot reçut un message d’Ahmah de Bellah, qui l’informait que sa sœur, la princesse Beljie, allait être conduite dans son établissement et remise entre ses mains pour être vendue comme esclave. Canot vit en effet arriver, quelque temps après, la princesse chargée de chaînes. La jeune fille avait été mariée contre son gré à un vieux chef nègre qui était non-seulement accusé de cruauté envers ses femmes, mais, crime plus impardonnable, convaincu d’avoir un goût prononcé pour les viandes impures proscrites par le Koran. Elle s’était vengée à sa manière ; en excitant la révolte dans le serait de son époux et en se livrant à des violences qui lassèrent la patience du chef. Il la renvoya à ses parens avec un message