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il fut fait à Canot une réception splendide. Jamais roi européen visitant un de ses frères n’a été reçu avec plus d’empressement et de politesse. On le logea dans une maison spécialement bâtie pour lui, meublée à l’européenne, et où il trouva tous les objets nécessaires à un homme civilisé. « Ces marques d’attention étaient d’autant plus délicates, ajoute Canot, que beaucoup des meubles et des objets qui avaient été placés dans ma demeure ne sont pas employés par les musulmans. — J’espère, lui dit Ahmah de Bellah avec une politesse digne d’un vrai musulman du bon temps de l’islamisme, que vous pourrez comparativement vivre à l’aise tant qu’il vous plaira d’habiter avec votre frère à Timbo. Vous n’avez point à me remercier de ne pas vous avoir traité comme un musulman, car, lorsque j’étais votre hôte, vous avez été indulgent pour toutes mes petites habitudes nationales. Qu’Allah soit loué pour vous avoir conservé la vie ! Ainsi, frère, reposez-vous en toute sécurité dans le royaume d’Ali-Mami votre père. » Néanmoins cette civilisation musulmane n’était pour ainsi dire chez Ahmah de Bellah qu’à fleur de peau ; la nature africaine reprenait le dessus à la première occasion. Ainsi, Canot lui ayant offert une belle robe de chambre pour laquelle il avait manifesté de l’admiration, il faillit devenir fou de joie. « Il me serra dans ses bras, dit Canot, une dizaine de fois avec l’étreinte d’un tigre, et m’aurait embrassé avec tout autant de férocité, si je ne l’avais supplié de mettre un terme à ces ébullitions d’une reconnaissance par trop sensible. »

Ali-Mami, le père d’Ahmah, avait environ soixante ans et se faisait remarquer, comme son fils, par la beauté relative de sa physionomie et la noblesse de ses manières. Il était bon musulman, mais sa dévotion avait une tournure pacifique plutôt que belliqueuse. Il était scrupuleux observateur des préceptes du Koran et savait s’arracher à la conversation la plus amusante ou à l’affaire la plus importante, si l’heure de la prière ou de l’ablution le surprenait dans ces occupations. Son intelligence, pas plus que celle de son fils Ahmah, n’était très forte ; il ne parvint jamais à comprendre qu’un vaisseau put contenir des provisions pour six mois, et prononça, en présence de Canot, cette mémorable parole : « La mer est un mystère que Dieu et un homme blanc peuvent seuls résoudre ! » Toute cette famille semblait possédée d’ailleurs d’une sorte de monomanie religieuse. Un autre des fils d’Ali-Mami, Abdulmomen-Ali, fut présenté aux voyageurs comme un très profond théologien, et pendant son séjour le pauvre Canot eut à subir constamment les sermons des deux frères, qui luttaient de zèle pour le convertir à leur foi.

Ce beau zèle religieux n’empêchait point les princes musulmans de vendre leurs sujets comme esclaves, et le principal objet du voyage