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lésée. « J’étais un jour dans le magasin avec Ormond, dit Canot, lorsqu’une des femmes entra furieuse, s’approcha de son maître et brisa à ses pieds un miroir qui venait de lui être donné. Elle en voulait un plus large, les miroirs qui avaient été donnés à ses compagnes étant d’un demi-pouce plus grands que le sien. Lorsque Ormond était à jeun, il avait assez de force et d’orgueil pour ne pas se laisser molester par ses femmes. Il se tourna donc tranquillement vers la virago et lui ordonna de sortir du magasin ; mais la belle dame n’était pas assez timide pour se laisser apaiser ainsi. — Ah ! cria la mégère en arrachant le mouchoir qui lui couvrait le sein et en se dépouillant successivement de tous ses vêtemens, ah ! mongo, suis-je donc assez laide pour mériter un pareil traitement, et ne suis-je pas digne d’avoir un miroir semblable à ceux des autres ? — Comme le mongo restait silencieux, elle s’approcha de moi pour savoir mon opinion, que j’évitai de donner en me cachant, ronge de honte, derrière le comptoir. »

Les dames du sérail d’Ormond ne brillaient pas précisément par leur fidélité, et il arrivait parfois que les caprices de deux d’entre elles se contrariaient mutuellement : en ce cas, les deux dames réglaient leurs comptes à coups de grilles ; mais rien au monde, pas même le singulier point d’honneur des Japonais, ne vaut un duel entre deux rivaux africains. Les deux antagonistes, accompagnés de leurs témoins, se rendent au lieu désigné pour le combat, armés d’un bon fouet. Une fois arrivés, ils se déshabillent et tirent au sort pour savoir lequel recevra les premiers coups. Celui que le sort a désigné comme victime présente le dos et reçoit sans mot dire un nombre déterminé de coups de fouet. Le flagellant devient à son tour le flagellé, et reçoit avec la même constance le même nombre de coups, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’enfin un d’entre eux se déclare vaincu, ou que les témoins désignent l’un des champions comme le martyr le plus stoïque. Assez sur ce sujet pourtant, et passons à un autre. Puisque nous sommes condamnés à contempler des horreurs bouffonnes, donnons-nous au moins le plaisir de la variété.

Lorsque la saison des pluies fut passée, les caravanes parties de l’intérieur de l’Afrique commencèrent à affluer sur la côte, et on annonça bientôt l’arrivée d’Ahmah de Bellah, le fils d’un puissant chef foullah. Ormond avait envoyé ses crieurs (barkers² à sa rencontre pour inviter la caravane à venir traiter avec lui. Canot nous fournit à cette occasion des détails assez curieux sur la manière dont les trafiquans d’esclaves établissent leurs communications avec l’intérieur. Aussitôt qu’ils ont avis de l’approche d’une caravane, ils envoient des mulâtres, connus sous le nom de barkers, qui sont chargés d’exalter la puissance, la richesse et le crédit du marchand