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fois, de l’homme par l’homme, peuvent être très pittoresques ; mais nous sacrifierions de bon cœur tous les tableaux, toutes les poésies, tous les romans que ce pittoresque a enfantés et enfantera pour qu’il n’existât pas. Il n’est pas gai de contempler la scandaleuse et navrante infériorité de tout un tiers de la race humaine, non plus que l’abus de la supériorité chez la race dominatrice et civilisée. Oh ! quand donc auront disparu de la surface du globe ces turpitudes si pleines de couleurs et ces contrastes qui prêtent tant à l’image ! Ce jour-là, tous les honnêtes esprits pourront entonner le cantique de Siméon.

Les aventures du capitaine Canot sont l’œuvre d’un Américain du sud, M. Brantz Mayer, qui a naguère exercé des fonctions diplomatiques à Mexico. Dans une préface adressée à un littérateur célèbre, Nathaniel Parker Willis, l’auteur prétend n’avoir fait que mettre en ordre les confessions du trafiquant d’esclaves, sans y avoir ajouté ni retranché. La préface est pleine de demi-intentions de philanthropie. Quelle est l’opinion de l’auteur sur l’esclavage ? Il est assez difficile de la découvrir. Il ne blâme ni n’approuve, esquive la question et se rabat sur les colonies de noirs libres, qui avec le temps doivent créer une civilisation africaine. Mais la race noire est-elle, par elle-même, susceptible d’arriver à la civilisation ? Le mahométisme, qui presse l’Afrique et au nord et au sud, est-il capable de faire disparaître cette antique servitude, qui date des premiers âges du monde ? L’auteur ne répond pas à ces questions, et insiste particulièrement sur les colonies de noirs libres. Il faudrait en conclure alors que les nègres n’arriveront à la civilisation que par l’esclavage, qu’en un mot ils ne sont susceptibles du développement moral nécessaire aux sociétés civilisées qu’après avoir passé sous la domination du planteur et le fouet de l’overseer.

C’est en effet un problème intéressant que celui de rechercher si la race noire est susceptible d’arriver à la civilisation, et quels moyens peuvent l’y conduire. Le mahométisme est certainement un grand progrès sur le fétichisme, mais je doute qu’il puisse jamais élever la race nègre au degré de civilisation auquel il a élevé la race sémitique. Le mahométisme est trop près des instincts de la race noire, il ne les contredit pas, il ne leur fait pas violence. Les roitelets nègres peuvent sans scrupule continuer à faire des guerres cruelles et à vendre leurs sujets aux Européens et aux Américains sans violer aucun des préceptes du Koran. Les idées du mahométisme sur l’esclavage et sur les femmes peuvent très parfaitement s’accorder avec la traite et la grossière promiscuité africaine. La civilisation mahométane, qui est déjà énervante pour des races sensuelles, mais intelligentes, peut être désastreuse pour une race plus sensuelle encore