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faces que le corps primitif. Il est vrai que quelques substances se rencontrent sous des aspects très divers ; mais on a appris à ramener toutes ces variétés à une forme primitive qui se modifie d’après des lois précises. Ainsi le carbonate de chaux cristallise sous huit cents figures qui toutes dérivent d’une forme unique. Lorsque les corps ont un rapport de composition ou un groupement d’atomes identique, leurs cristaux sont analogues, et M. Laurent a remarqué que dans les substitutions qu’il opère les corps ne changent pas de forme, ce qui prouve que leur constitution atomique n’a pas varié. Il a démontré ainsi bien des analogies que les chimistes refusaient d’admettre jusque-là.

Telles sont les principales idées que M. Laurent oppose au dualisme. Nous n’avons pas à reproduire ici ses opinions sur les radicaux, les noyaux dérivés, les nombres pairs d’atomes, etc. Notre but est atteint si l’on a vu sur quoi roule la discussion, et même d’une manière générale si nous avons fait connaître ce que sont les atomes, quel rôle ils jouent dans la chimie et comment leurs arrangemens peuvent donner naissance à des théories et à des opinions diverses. Sans qu’on puisse encore se déclarer exclusivement pour la théorie nouvelle, il semble qu’elle est aussi probable que le dualisme, qu’elle repose sur autant d’observations et rend peut-être l’étude de la chimie organique plus facile, la nomenclature et la classification plus simples. Cependant aucune des deux doctrines n’est démontrée. Le plus grand avantage de la dernière venue est de repousser les corps hypothétiques. M. Laurent prouve, ce qui est assez curieux, que ces corps font toujours exception à certaines lois qu’il pose sur les nombres pairs d’atomes, tandis que tous les autres corps les vérifient. Quant aux critiques dont la nouvelle théorie a été l’objet, elles nous entraîneraient jusqu’au cœur d’une science dont il n’est possible ici que de donner un aperçu. Nous sommes du reste un peu de l’avis de M. Laurent, il a été plutôt exposé à des attaques qu’à des objections, et nous regrettons le dédain qui a longtemps accueilli toutes ses opinions. Ce n’est pas répondre à une théorie sérieuse que de dire assez spirituellement avec M. Wœhler que par des substitutions successives on peut obtenir, sans altérer ses propriétés, un sulfate de manganèse ne contenant plus ni manganèse, ni soufre, ni oxygène, c’est-à-dire privé de tous les corps qui constituaient son individualité.

Et maintenant, après avoir consacré tant de pages à la chimie et aux doctrines de M. Laurent, parlons un peu de l’auteur lui-même. Nous voudrions avoir contribué à faire connaître son nom et l’importance de ses travaux. On se sent pris d’une grande tristesse, lorsqu’on songe à quels dégoûts, à quelles difficultés, à quelle misère même cet homme, qui, quoi qu’on puisse dire, a rendu de vrais services à la science, a été en proie. Inconnu du public comme tout