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allaient se terminer dans les mains et dans les pieds ; suivant les autres, la grosse veine qui longe la colonne vertébrale (sans doute la veine cave) donnait naissance aux veines ; suivant d’autres, les veines (mot qui comprenait aussi les artères) émanaient du cœur ; suivant d’autres enfin, les artères émanaient du cœur, et les veines, du foie. Rien de tout cela n’est vrai ; mais aussi quelle complication n’était-ce pas de suivre le cours de ces vaisseaux communiquant avec les artères par les capillaires invisibles à l’œil, prenant avec eux la veine-porte, qui est placée par exception entre deux réseaux capillaires, s’interrompant pour recevoir le cœur, se confondant par les veines pulmonaires avec le système artériel, et venant se croiser avec les vaisseaux lymphatiques ! Ce dédale devait être longtemps inextricable ; au fond, il était lié à la découverte de la circulation, comme l’a fait voir M. Flourens dans son histoire de ce grave événement physiologique. Et dans une science qui pendant si longtemps n’offre que des faits particuliers, sans qu’aucun fait général puisse surgir, combien les anciens médecins n’ont-ils pas enregistré d’observations qui étaient pour eux sans explication et qui témoignent de leur sagacité et de leur vigilance ! Ainsi les hippocratiques, tout en supposant que le cerveau est une glande, n’en avaient pas moins remarqué que dans les lésions de cet organe les effets sont croisés, c’est-à-dire que, si la lésion affecte le côté droit du cerveau, c’est le côté gauche du corps qui est paralysé, et inversement. Bien plus, on trouve dans leurs livres la description d’une maladie qui n’a peut-être été vue que par eux à l’état épidémique, — la luxation spontanée des vertèbres cervicales. Or, parmi les symptômes qu’ils y ont observés, ils signalent la paralysie d’une moitié du voile du palais. Les modernes ont noté en effet que, quand une moitié de la face est paralysée, la moitié correspondante du voile du palais et de la luette est aussi privée de mouvement. Cela tient à des distributions de filets nerveux dont Hippocrate et ses élèves ne pouvaient même avoir le pressentiment, et cependant le fait ne leur a pas échappé.

Entre les mains d’Aristote, l’anatomie prit un caractère tout différent. Cet esprit, le plus puissant peut-être que l’humanité ait produit dans la voie de la science pure et de la spéculation, saisit un point de vue nouveau, et qui devait faire la fortune de siècles bien postérieurs. Il compara les organes chez les animaux, commençant à établir de vraies généralités sur les conditions auxquelles la vie est soumise dans ses manifestations ; mais, comme toutes les conceptions qui dépassent de beaucoup le niveau des idées contemporaines et les moyens actuels de démonstration, la sienne resta sans imitateur. Personne dans l’antiquité, personne dans le moyen âge ne reprit l’œuvre d’Aristote ; pendent opera interrupta minoeque murorum