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les défauts, qu’il avait souvent relevés dans ses mémoires à l’Académie. Nous avons dû procéder autrement, expliquer un peu longuement l’ancienne théorie et insister sur les objections, tous nos lecteurs n’étant pas familiarisés avec ce genre d’études. Pour la même raison, nous essaierons simplement de donner une très succincte idée de la doctrine nouvelle. Les expériences nombreuses qui lui servent de base sont trop délicates, et les considérations qu’on en déduit trop spéciales pour être exposées ici. Les noms même des substances qu’emploie l’auteur sont à peine connus des personnes étrangères à la science, et nous ne ferions guère qu’embrouiller le raisonnement, si nous citions les transformations qu’il fait subir à la cyaniline, la flavine, l’alloxane, la nicotine, le salicylol, etc.

La chimie, dit M. Laurent, est la science des substitutions. Une substitution est une opération par laquelle on remplace dans un composé un élément par un autre. Souvent cette substitution peut se faire sans que la nature et les propriétés des corps varient d’une manière appréciable. Ce genre d’opérations est admis depuis assez longtemps dans la science, et M. Dumas le premier en a découvert quelques exemples. Jusqu’ici, on les avait considérés comme des exceptions, et dans la nouvelle théorie c’est le cas général. Il y aurait ainsi certains groupes moléculaires dans lesquels on pourrait remplacer un, deux, trois atomes, sans que ni la forme ni les propriétés principales du corps eussent éprouve une grande modification. C’est de cette façon que M. Laurent explique tous les phénomènes de la chimie ; il rejette ainsi tous les corps imaginaires qu’admet le dualisme, et la plupart des combinaisons binaires. Le but de toutes ses expériences est de remplacer dans des corps composés certains atomes par d’autres, de voir quelles sont les substances qui peuvent se substituer l’une à l’autre, et de découvrir les règles de ces substitutions. Ses opérations ont porté sur presque tous les corps de la chimie organique, et il y a toujours trouvé une vérification de ses principes. On doit remarquer cependant que faire perdre à un composé quelques atomes, et en substituer d’autres en même nombre sans altérer ses propriétés, ce n’est point donner une idée exacte de l’arrangement moléculaire : c’est simplement montrer que, dans le second composé, cet arrangement est le même que dans le premier. Là doivent se borner les prétentions de M. Laurent et de son école. Cet arrangement absolu des atomes parait d’ailleurs difficile à bien connaître, et nous devons nous contenter aujourd’hui de la constitution relative des corps. Si cela ne satisfait pas notre curiosité, cela suffit aux opérations de la science. L’ambition de l’auteur doit consister surtout à rétablir l’ordre au milieu de la confusion qu’ont amenée les découvertes nouvelles. Les phénomènes de la chimie sont livrés à une très grande liberté d’interprétation, et l’autorité du chimiste qui a découvert une