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identiques à celles de l’acide formique, n’ont aucun rapport avec celles de l’essence. On admet que les composés de ce genre, quoique produits par la combinaison de deux corps déjà eux-mêmes composés, jouent entièrement le rôle des combinaisons organiques plus simples, c’est-à-dire qu’on ne peut pas dédoubler et recomposer ensuite avec les produits de leur dédoublement. L’essence d’amandes amères est ici la copule de l’acide formique. Cette hypothèse singulière n’est nullement démontrée, et on voit qu’elle ne peut l’être. Aussi peut-on s’étonner de la facilité que les chimistes ont mise à l’accepter et des développemens qu’elle prend chaque jour. Les corps les plus communs de la nature, la fibrine, l’albumine, la caséine, les alcalis végétaux, passent pour des corps copules dont on ne connaît pas la copule, et font exception à nos idées générales sur les composés.

Un autre argument vient encore en aide aux adversaires du dualisme. Nous avons dit que, dans toutes les combinaisons binaires, chacun des deux corps doit avoir une nature électrique différente, que l’un est électro-négatif et l’autre électro-positif. M. Laurent, par des expériences bien faites sur une substance dérivée de l’indigo, — l’isatine et ses combinaisons chlorées, — a montré que souvent des corps négatifs peuvent remplacer des corps positifs sans que le composé soit détruit, sans que ses propriétés soient sensiblement altérées.

En présence de toutes ces raisons, de tous ces faits, il est difficile de considérer la question comme décidée, et d’admettre la théorie des dualistes sans hésitation et sans vérifications. On a peine à croire que ce soit là le terme de la science. Au moins le dualisme a-t-il besoin d’être démontré. On pourrait même aller plus loin, et prétendre que les premiers chimistes théoriciens, par la nomenclature et cette façon binaire d’envisager les composés, ont voulu plutôt simplifier l’étude et soulager la mémoire qu’enseigner le véritable arrangement des atomes. Leur but était de donner un moyen de retenir la composition et les fonctions des corps, et d’introduire un peu d’ordre dans une science d’une grande étendue. Lavoisier lui-même ne paraît pas avoir attaché à cette théorie toute l’importance qu’on lui donne aujourd’hui. Peu à peu, à force d’être étudiée, cette classification a pris, ce qui arrive souvent, une autre signification dans l’esprit des élèves que dans celui du maître. On a considéré comme une classification naturelle ce qui n’était qu’un ordre artificiel ; la théorie bien connue a paru claire et compréhensible, on l’a trouvée simple, et on a cherché à la plier aux progrès de la science. Les formes dualistiques sont d’ailleurs des procédés très conformes à la nature de notre esprit, qui tend toujours à diviser, à sous-diviser les sujets de ses études. Dans toutes les sciences, ces mêmes idées se retrouvent. Si donc la théorie des dualistes est naturelle, elle a besoin de démonstration ;