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chimie organique un labyrinthe inextricable. Les chimistes ont tenté d’appliquer à ces corps les lois qu’ils avaient trouvées pour les minéraux, et de considérer tous les composés organiques comme des combinaisons binaires. La formule de quelques substances se prête assez bien à ce partage en deux conquises : mais pour d’autres des difficultés se présentent. Le procédé que l’on a employé pour les vaincre est simple : on retranche de la formule du corps composé celle d’un corps connu dont le premier contient les élémens, puis le reste de la soustraction est la formule d’un troisième corps, qui est censé former le premier par sa combinaison avec le second. Malheureusement il arrive dans beaucoup de cas que ce troisième corps ne peut jamais être obtenu isolé, et que jamais les décompositions ne s’effectuent comme l’exigerait la théorie dualistique. On donne un nom arbitraire à ce corps sans le connaître, sans pouvoir l’étudier, sans même savoir si son existence est possible. C’est là ce qui faisait dire à M. Laurent, dans un de ses nombreux mémoires à l’Académie des Sciences[1], que la chimie, que l’on prétend ranger parmi les sciences exactes, est la science des corps qui n’existent pas, et même des corps qui ne peuvent pas exister. Outre l’introduction toujours funeste de corps hypothétiques dans la science, cette théorie a d’autres inconvéniens. Ces décompositions binaires sont obtenues par une opération purement algébrique sur les formulés, et il arrive d’ordinaire que non-seulement le corps ne se scinde pas, comme on le croit, en deux composés, mais qu’il ne rappelle en rien les propriétés des élémens qu’il devrait renfermer. La pile et les réactions, que peut invoquer la chimie minérale, ne viennent même pas ici au secours du dualisme.

Pour expliquer que l’on ne trouve pas toujours dans les composés organiques les propriétés des élémens que l’on y suppose, quelques chimistes, et des plus illustres, ont inventé la théorie des copules. Les corps ne sont plus combinés, ils sont copulés. Une copule est un composé imaginaire dont la présence déguise toutes les propriétés chimiques des corps auxquels il est uni. Tout est alors expliqué. Les réactions sont insuffisantes pour dévoiler le mystère, et M. Laurent remarque très justement qu’il devient d’autant plus vraisemblable qu’un corps en renferme un autre, que le premier rappelle moins les propriétés du second. Cela est évident, puisque les copules déguisent les propriétés des corps auxquels elles sont unies. Ainsi l’on trouve dans la formule d’une substance les élémens d’un acide dont nous avons déjà parlé, — et qui s’obtient par la distillation des fourmis rouges, l’acide formique, — et de l’essence d’amandes amères. Les propriétés de ce composé (l’acide formo-benzoïlique),

  1. Comptes-rendus des séances de l’Académie des Sciences, I. XXI, p. 853 (1845).