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Sans aller aussi loin, on peut dire, je crois, que la science actuelle admet trop d’élémens, et que les chimistes futurs en réduiront sans doute le nombre. Cela devient assez vraisemblable, si l’on considère combien deux corps unis entre eux en diverses proportions peuvent former de substances. L’essence de térébenthine, le gaz qui s’échappe des marais, les essences de citron et d’orange, le gaz de l’éclairage, le caoutchouc, etc., sont formés par les combinaisons de deux corps simples, l’hydrogène et le carbone. Si à ces deux élémens on en ajoute un troisième, les résultats seront encore plus frappans. Les différentes propriétés de l’alcool, du vinaigre, du sucre, de l’éther, d’une foule de substances, ne sont dues qu’aux différences de proportion dans les trois corps simples qui les constituent, et aussi à des différences dans le groupement des atomes.

Nous avons enfin prononcé ce mot de groupement des atomes. Là est le point difficile et contesté de la science. Les opérations de l’analyse chimique ne suffisent pas à l’éclairer. Elles nous font connaître l’essence et les proportions de poids relatives des substances simples, ou réputées telles, qui composent un corps. Elles ne nous apprennent point si les molécules matérielles de ces principes constituons y entrent dans un état de combinaison générale, le même pour toutes, ou si elles y sont réparties en groupes distincts combinés entre eux sans décomposition individuelle, et coexistant avec leurs qualités propres dans le produit total. Aussi l’état des atomes ne peut-il être conclu que par induction. Il faut se fonder sur des analogies de propriétés et de réactions, ou sur des idées spéculatives, déduites de la classification des corps. Il est bien évident d’ailleurs que cette étude de l’arrangement des atomes dans les corps simples nous est interdite, puisque ces atomes sont pour nous identiques ; mais il n’en est pas de même des corps composés. Quelle est dans ces corps la constitution atomique, ou, en d’autres termes, qu’arrive-t-il lorsque deux corps se combinent ? C’est en voulant répondre à cette double question que M. Laurent, par la nouveauté et l’originalité de ses idées, a excité l’indignation de quelques savans qui croyaient le problème résolu. Avant d’exposer la querelle, nous devons faire une nouvelle digression, et expliquer ce que l’on entend par ce mot de combinaison.

Si l’on ajoute de l’eau à de l’eau, du sel à du sel, la quantité seule est accrue, la qualité n’éprouve aucune altération. L’action des molécules est purement mécanique. Si on mêle une poudre jaune avec une poudre bleue, on obtient une poudre verte ; mais cet effet est produit par le mélange de la lumière bleue et de la lumière jaune, qui sont réfléchies séparément par les grains de chacune des poudres. Si l’on examine ce mélange au microscope, on distingue parfaitement les grains bleus des jaunes, et, avec de la patience, on