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montrent à la fois la filiation et la connexion des choses, et comment ce qui a été absolument impossible à un moment se trouve possible à un autre.

Il est besoin ici de quelque développement. Par une analyse de plus en plus profonde, les modernes en sont venus à résoudre le corps organisé et ses élémens, de sorte qu’il leur est loisible d’aller, s’ils veulent, dans cette étude du simple au composé ; mais il n’en a pas été ainsi à l’origine, et c’est du composé au simple que les premières spéculations ont procédé. En effet, qu’avaient les anciens observateurs devant les yeux ? Non pas les parties profondes, les muscles, les nerfs, les viscères, encore moins les parties fines, qu’une dissection soigneuse met à nu, encore bien moins ces parties si ténues, qu’elles échappent à l’œil et que le microscope seul en révèle l’existence, la forme et la texture ; mais ils avaient le corps entier, cet ensemble, si complexe d’organes. C’est au milieu de ce labyrinthe plus inextricable que celui de Thésée, et sans le fil qu’une main secourable avait remis au héros, que nos ancêtres scientifiques se hasardèrent avec un courage qui montre combien à un certain moment la passion du vrai devient puissante, et avec un succès qui doit toujours exciter la reconnaissance de leurs services. S’ils firent peu, c’est que peu était possible avec les ressources qu’ils possédaient, et si depuis on a fait beaucoup, c’est grâce à eux, grâce à ce procédé d’accumulation, qui, dans l’ordre intellectuel comme dans l’ordre matériel, enrichit les générations successives.

Empédocle, Démocrite, Alcméon, Hippocrate sont les plus anciens chercheurs dont l’histoire nous ait gardé le souvenir. Ils allèrent bien au-delà de la simple inspection du corps vivant ; ils pénétrèrent bien au-dessous de la première écorce. Et remarquez que ce que dit Virgile de son Orphée, qui aborde l’antre du Ténare, la demeure sourcilleuse de Pluton et le roi formidable, se peut dire de ceux qui essayaient de porter des mains curieuses dans les dépouilles de la mort. Une opinion vigilante, appuyée sur les croyances religieuses, en défendait les approches et ne permettait pas que la science violât les froides reliques appartenant à la tombe et aux dieux souterrains. C’était donc sur les animaux que se faisaient les études anatomiques, et, dans certaines circonstances favorables et à la dérobée seulement, on arrivait à apercevoir quelques parties de l’organisme humain lui-même. Avec des débuts aussi gênés dans une matière aussi difficile, les connaissances conquises ne furent pas grandes. Ainsi, pour donner une idée de l’anatomie d’Hippocrate et de son école, je dirai qu’on n’avait pas distingué le système nerveux, qui restait confondu sous une appellation commune avec les parties tendineuses et fibreuses, — qu’on prenait le cerveau pour une glande