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produire d’utiles résultats. Le livre de M. Laurent n’a pas et ne peut pas avoir la prétention de se placer à côté des ouvrages des savans que j’ai nommés, ni de détruire la chimie créée par trois générations successives. L’auteur est moins radical qu’on ne le croit, moins qu’il ne le dit, moins peut-être même qu’il ne le pense. La plus grande partie des doctrines admises aujourd’hui repose sur tant d’expériences et de vérifications, qu’elle est à l’abri de toute atteinte. Cependant il est certains problèmes qui, de l’aveu même de tous, sont restés douteux, car l’expérience ne suffit pas à les résoudre. Davy avait déjà attaqué les hypothèses de Lavoisier et de ses successeurs sur cette partie de la chimie, et M. Laurent vient encore les combattre aujourd’hui, armé de toute la science que nous avons acquise depuis cinquante ans et des découvertes mêmes de ses adversaires. Il est d’ailleurs soutenu par un chimiste distingué, qui a souvent été son collaborateur et dont les idées se rapprochent beaucoup des siennes, M. Gerhardl[1]. Pour bien faire comprendre l’objet de la discussion, pour préciser à la fois l’importance de la question débattue et l’état de la science appelée à la résoudre, nous sommes obligé de revenir un peu sur nos pas et d’expliquer ce qu’on entend par le mot atomes, qui revient sans cesse dans les théories actuelles de la chimie.

L’expérience de tous les jours montre que les corps peuvent être réduits en parties fort petites, et cette divisibilité ne semble avoir que la limite opposée par la grossièreté de nos organes et de nos instrumens. Lorsqu’un corps est réduit en une poudre impalpable, les grains de cette poudre paraissent à l’œil armé d’un microscope pouvoir toujours, quelque petits qu’ils soient, subir une nouvelle division. Cette divisibilité des corps n’a-t-elle aucune limite, ou au contraire pourrait-on arriver, après un grand nombre de sections, à des parcelles persistantes, inaltérables et indivisibles ? Telle est la question que nous devons nous poser tout d’abord, car sur l’existence de ces parcelles, connues sous le nom d’atomes, repose en partie la théorie chimique. C’est donc sur cette question de la divisibilité infinie tant discutée par les métaphysiciens de tous les temps et par les chimistes modernes que nous devons jeter un coup d’œil rapide avant de passer à ce qui fait plus spécialement le sujet de notre étude.

Leucippe et Démocrite ont les premiers considéré la matière comme formée d’élémens indivisibles, inséparables, réunis en masses énormes pour former les plus petits corps, et ils ont donné à ces élémens le nom d’atomes. Ces atomes ne se touchent pas, ils sont séparés par du vide, et dans un corps il y a autant de vide que de plein.

  1. Introduction à l’Étude de la Chimie par le système unitaire, par M. Ch. Gerhardt.