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apparurent Lavoisier et cette admirable génération de savans qui accomplirent, eux aussi, leur glorieuse révolution, et furent pour ainsi dire le témoignage vivant des progrès que le xvin0 siècle avait fait faire à l’esprit humain. La chimie de Slahl fut alors combattue et remplacée par celle qui subsiste encore aujourd’hui, après s’être développée et agrandie pendant soixante ans, mais sans avoir subi de changemens essentiels. Ce sont quelques-uns des principes de cette chimie que nous voudrions exposer ici, et en même temps nous exprimerons les doutes qu’ils soulèvent dans notre esprit. C’est le moment en effet de se livrer à cette étude. Depuis plusieurs années, depuis le mouvement qu’ont imprimé à la science M. Dumas en France et M. Liebig en Allemagne, rien de capital n’avait été publié sur la chimie, et leurs élèves se contentaient de découvrir quelques nouveaux corps ou de nouvelles applications aux arts ou à l’industrie. Il y a quelques mois enfin, on a vu se produire un ouvrage curieux et intéressant, plein d’idées neuves et d’aperçus ingénieux, qui menace d’un changement assez considérable les idées admises depuis plus de soixante ans[1]. Ce n’est pas, bien entendu, la chimie moderne tout entière de Lavoisier que combat l’auteur : la plupart des doctrines de ce grand homme ne peuvent être ébranlées ; ce que M. Laurent discute, c’est une partie de la théorie chimique qui, comme nous espérons le montrer, ne paraissait pas essentielle à Lavoisier, et qui n’a reçu tout son développement que depuis sa mort.

M. Laurent, l’auteur de la nouvelle doctrine, a consacré sa vie entière à l’étude de la chimie. Après avoir été longtemps unanimement repoussées, ses idées commencent aujourd’hui à faire quelques prosélytes, en grande partie peut-être parce que l’auteur n’est plus là pour les imposer, et ne peut pas jouir de son succès. M. Dumas lui-même a récemment annoncé à l’Académie des Sciences que la nouvelle théorie était loin d’être sans valeur, et pourrait bien modifier certaines parties de la science que l’on enseigne aujourd’hui. On comprend que nous ne saurions être plus affirmatif que M. Dumas. Nous ne prétendons pas soutenir les nouveautés de M. Laurent, nous ignorons encore si ses idées sont enfin la vérité ; mais nous voudrions appeler l’attention, sur ses travaux, et, en exposant l’ancienne théorie, en montrer les côtés faibles, expliquer comment certains points en ont été trop facilement admis. La personne même de M. Laurent est d’ailleurs intéressante. Il était profondément versé dans l’étude de la chimie, et son opinion, fondée sur des convictions profondes et raisonnées, mérite au moins un

  1. Méthode de Chimie, par A. Laurent, précédée d’une préface par M. Biot ; in-8o Paris, Mallet-Bachelier, 1854.