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sans manquer de respect à son génie, qu’aucune d’elles ne fut de sa part une œuvre sérieuse. Il n’entendit pas que personne prit au sérieux ni les élections sur une double liste de notabilités, ni les garanties de la liberté individuelle et de la liberté de la presse confiées à des commissions, ni ces deux assemblées, dont l’une devait toujours parler et l’autre toujours se taire. Personne n’était obligé, sous son règne, à prendre pour de véritables corps ces ombres diaphanes au travers desquelles passaient les rayons d’une seule lumière. Il déploya même plusieurs fois à leur égard, et sans avoir à se plaindre de leur indocilité, un luxe d’arbitraire qui ne pouvait avoir d’autre but que de les maintenir dans un juste sentiment de leur néant. Napoléon ouvrant ses chambres donnait un spectacle de parade. Où il était véritablement sérieux, c’était assis dans son conseil d’état, organisant par des lois où la prudence le dispute au génie toutes les parties de l’administration civile, accommodant par de sages transactions les vieilles coutumes et les droits nouveaux, rendant la liberté à la religion sans gêner la liberté de conscience, ressuscitant les cours de justice, rallumant le flambeau éteint de l’instruction littéraire, enfin reprenant en tout genre, dans l’ordre civil, les traditions interrompues de la royauté et l’œuvre ébauchée par la constituante.

La nation de son côté, il faut le dire, ne lui demandait pas autre chose. Retrouver les bienfaits civils de la révolution française, menacés par le désordre qui l’avait suivie, c’était toute son ambition. De droits et d’institutions politiques, elle n’avait garde d’en réclamer. Probablement, si on les eût offerts, elle les eût regardés comme une charge plutôt que comme un don. Qu’une main ferme lui assurât la liberté de conscience, poursuivie naguère par les tribunaux révolutionnaires, — la liberté de propriété, étouffée sous les réquisitions, les confiscations et les banqueroutes, — la liberté d’industrie, singulièrement gênée par une guerre de principes et de propagande avec toute l’Europe, — la liberté de locomotion même, fort troublée par le dangereux état des routes et le brigandage organisé, — toutes les libertés de la vie privée en un mot, — c’était tout ce que demandait le peuple français de 1800, et il ne marchandait nullement le pouvoir à celui qui les lui assurait ; à ce prix, il faisait très gracieusement le sacrifice de toute institution politique. Pourvu qu’il jouît au coin de son foyer de toutes ces réalités bourgeoises, il consentait de grand cœur, pour tout le reste, à se contenter d’apparences. Il se prêtait sans difficulté à toutes les illusions, et entra gaiement dans la plaisanterie de tous les simulacres d’institutions politiques dont le premier consul lui fit don.

Il n’y a donc pas lieu, nous le pensons, à distinguer, comme M. de