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de questions délicates et combien il affronte de contradictions passionnées.

Jamais plan ne fut plus fidèlement rempli. À chacune des phases de la révolution, dans l’étude particulière qu’il y consacre, M. de Carné applique le même jugement également ferme et large, il a sur les actes de tous les hommes, sur la conduite de tous les partis qui ont pris part à ces grandes luttes, une opinion très arrêtée, tantôt sympathique, tantôt sévère, mais sans que ni la sévérité ni la sympathie fassent jamais tort à la justice. Avec un sens moral très droit et très fin, M. Louis de Carné distingue toujours où fut, dans chaque crise, la cause bonne et vraiment nationale qui changea si souvent de parti et de défenseurs. Il l’embrasse très chaleureusement partout où il l’a reconnue, mais sans dissimuler ni les fautes qui l’ont compromise, ni l’excuse qu’on peut plaider en faveur de ceux qui l’ont combattue. On voit que s’il eût siégé à la constituante, à la législative ou dans les assemblées passionnées de la restauration, il se fût montré partout ce que nous l’avons connu dans sa courte carrière politique, soldat fidèle, mais censeur éclairé de son propre parti, adversaire juste autant que courageux. C’est ce double caractère de modération et de fermeté qui fait la véritable originalité de son livre et nous permet de suivre avec confiance les appréciations qu’il nous soumet. Même quand on ne les partage pas toutes complètement, il y a toujours plaisir à les étudier. Il y a plaisir à s’entretenir avec un homme qui est assez convaincu de ce qu’il dit pour avoir droit qu’on l’écoute, et pas assez enfermé dans son propre jugement pour ne pas écouter à son tour la réponse.

La révolution française est donc aux yeux de M. de Carné le mélange du bien et du mal par excellence, et il essaie de séparer ces divers élémens : tâche délicate s’il en fut jamais, car le choc des événemens les a assez longtemps secoués, le feu des révolutions les a tenus assez longtemps ensemble dans son creuset pour en faire un composé chimique à peu près indissoluble. C’est tout de suite, c’est dès l’ouverture même des états-généraux que M. de Carné se met en devoir d’appliquer ce procédé d’analyse. Il est assez évident qu’il n’a pas un goût très vif pour l’esprit général qui anima ce grand mouvement. Ce qu’il y avait de rêveur et d’abstrait dans l’esprit d’un constituant, cette manière idéale et philosophique d’envisager les sociétés humaines, ce dessein de faire un gouvernement tiré au cordeau d’après un plan imaginaire, tout cela déplaît fort au sens pratique de M. de Carné comme à son attachement traditionnel pour les souvenirs de la France. Cependant cette répugnance ne va point jusqu’à lui faire condamner en bloc toute l’œuvre de la constituante. Au contraire, par un procédé qui le sépare très nettement des théories