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où son talent, son genre, ses types préférés, se sont développés sous un jour propice, dans leur atmosphère naturelle, et où il a pu, sinon donner toute sa mesure, au moins la faire deviner !

C’est dans la Revue des Deux Mondes, avec un Homme sérieux et le Paratonnerre, c’est dans le Journal des Débats, de 1840 à 1847, qu’il faut donc chercher le vrai Charles de Bernard, se révélant dans les ouvrages qui donnent la plus exacte idée de sa manière : il y publia successivement les Ailes d’Icare, où se trouve cette figure si comique de Mme Piard ; la Cinquantaine, étude tour à tour plaisante et touchante des effets d’un amour romanesque à l’âge où il n’est plus permis d’avoir que des souvenirs ; la Chasse aux Amants, spirituelle esquisse de mœurs mondaines, dessinée avec une remarquable finesse de trait ; enfin, à la veille même de nos révolutions nouvelles, le Gentilhomme campagnard, qui en renfermait comme les pressentimens, qui nous montrait des scènes de démagogie villageoise, des émeutiers compromis par des pillards, des intérieurs de petite bourgeoisie haineuse, partagée entre l’ombrage que lui donne le château et la frayeur que lui inspire le club ; le Gentilhomme campagnard, dont le principal personnage, le baron de Vaudrey, est encore une de ces figures que M. Charles de Bernard peint avec amour d’après ses souvenirs ou d’après lui-même : gentilhomme de race et de cœur, las de lutter contre son siècle, se résignant à sa défaite, pourvu qu’on lui permette d’avoir plus d’esprit que ses vainqueurs, et mêlant au regret du passé assez de science du présent et de prévision de l’avenir pour se contenter de peu, s’enthousiasmer rarement, ne s’irriter jamais et ne s’étonner de rien.

Ailleurs, son talent faiblit, sans disparaître pourtant tout à fait. Ainsi le Pied d’argile, la Peau du lion, sont deux piquantes esquisses, offrant, chacune dans son genre, un grain de caricature. Il eut aussi quelques excursions moins heureuses du côté de cette littérature à émotions fortes, à laquelle, si les circonstances l’y eussent aidé, il eût peut-être fini par se livrer un peu trop. — Un Beau-Père par exemple, après s’être annoncé comme un pendant de l’amusante esquisse du Gendre, s’achève au milieu de complications mélodramatiques. L’Innocence d’un forçat, histoire entremêlée de bagne, d’adultère, d’assassinat et de cour d’assises, appartient encore à cette manière, qui n’eut pas le temps de se développer tout à fait, et qui tient, en somme, peu de place dans l’ensemble de ces jolis ouvrages. Nous venons d’en donner la liste à peu près complète : Gerfaut, les Ailes d’Icare, un Homme sérieux, la Peau du lion, un Beau-Père, le Gentilhomme campagnard ; ajoutez-y les nouvelles qui composent les trois charmans volumes du Nœud gordien, du Paravent