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volumes, — il y avait là de quoi faire espérer, sinon plus, au moins autre chose que ce qu’a tenu l’aimable conteur. Sans partager là-dessus l’opinion générale, nous croyons que Gerfaut mérita d’aillant plus de fixer l’attention et d’éveiller l’intérêt, que l’on peut y trouver des renseignemens et des aperçus sur l’auteur lui-même, sur cette vie intérieure, si discrète et si cachée. Gerfaut, cet écrivain de haute naissance, n’ayant pu ou voulu retremper son blason que dans la gloire littéraire, faute d’une autre vocation ou d’un autre emploi, cet homme du monde qui fait des pièces pour le Gymnase et des romans pour l’ancienne Revue de Paris, que la bonne compagnie regarde un peu comme une exception inquiétante, mais qu’elle accueille pourtant et traite comme un des siens, ce sceptique chevaleresque qui a passé par le romantisme de 1830 et par le salon de M. de Talleyrand, pour arriver à une passion à la fois sensuelle et mystique, mi-partie de Byron et de Swedenborg, Gerfaut représente évidemment, non pas ce qu’a été M. Charles de Bernard, mais le type le plus présent à sa pensée pendant cette première phase où son talent, cherchant sa voie, se composait peu à peu à l’aide de ses lectures, de ses souvenirs, de ses impressions personnelles. En d’autres endroits du livre, Gerfaut offre quelques traits de cet égoïsme du poète, qui reste froid et positif au milieu de ses effusions lyriques : caractère vrai, que le coup d’œil pénétrant de M. Charles de Bernard saisissait déjà, que d’autres depuis lors ont essayé de peindre, et qui, mieux approfondi encore, pourrait fournir une des figures les plus instructives de la société contemporaine. Les paysages ont un relief et une ampleur qu’on chercherait vainement dans les autres ouvrages de l’auteur. Il y a du Walter Scott dans la création de ce Bergenheim, descendain non dégénéré d’une forte race, exerçant autour de lui cet empire de la vigueur physique, dernier vestige des féodalités du moyen âge, ne comprenant rien aux raffinemens du sentimentalisme moderne, mais gardien terrible de son honneur et donnant à ses vengeances une attitude grandiose, aussi éloignée du ridicule que de la vulgarité. Le rôle de Marilhac, le rapin à la suite, est fort amusant, et le dénoûment émeut par son originalité sombre et sinistre, bien qu’on y trouve un premier symptôme de ces légers accès de mélodrame dont M. Charles de Bernard ne se préserva pas toujours. Malheureusement les scènes d’amour sont vulgaires ou surchargées : Lambernier est un traître du boulevard, Clémence une héroïne de théâtre ; l’analyse des sentimens et des passions, au lieu de ne toucher qu’aux points nécessaires, s’alourdit dans des digressions inutiles, s’égare dans des à-peu-près métaphysiques, et fait l’effet d’un crayon qui s’écrase en appuyant, d’un scalpel qui dépasse la libre et s’enfonce inutilement dans la chair. C’est là, dans cet excès d’analyse