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Quel salon politique n’a eu pour habituée ou pour souveraine une Mme Piard, ne cherchant ses romans que dans le Moniteur, préférant le rôle d’Egérie constitutionnelle à celui de femme à la mode, et disant à son mari, convaincu à la fois de galanterie surannée et d’opposition intempestive : — « En me mariant avec vous, j’avais cru épouser un homme d’état ? » - Qui ne s’est rencontré avec ces vieilles filles à marier, ces mères indulgentes, ces belles-mères clairvoyantes et goguenardes, ces jeunes femmes jouant avec nos vanités, nos habiletés, nos colères, comme avec un jeu de cartes dont elles ont les atouts dans la main, tout ce personnel aimable, enjoué, sentimental, adroit, malin, espiègle, mélancolique, passant devant nous avec une larme au coin de l’œil, avec un sourire au coin des lèvres, et méritant peut-être de s’appeler la comédie féminine tout aussi bien que l’étrange musée de Balzac s’est appelé la comédie humaine ! De quel côté, je vous le demande encore une fois, se trouvent la vérité, la possibilité, la vraisemblance ? Chez le prétendu maître, l’observation pèche presque toujours par son excès même : elle ressemble à ces microscopes d’un numéro tellement fort, qu’ils commencent par nous montrer nettement ce que nous n’aurions jamais découvert, mais finissent par troubler le regard au point de ne plus distinguer même ce que nous verrions à l’œil nu ; chez le prétendu disciple, l’observation s’arrête juste à l’instant où elle vient de condenser et de fixer la lumière sur le trait essentiel de la figure. Chez l’un, la science reste dans ces limites prudentes, discrètes, instructives, qui font les chimistes et les astronomes. Chez l’autre, elle se lance dans ces sphères ténébreuses, compliquées, troublées, dangereuses, indéfinies, qui faisaient les alchimistes et les astrologues. On le voit, les esprits justes peuvent goûter M. Charles de Bernard : a-t-il aussi de quoi plaire aux esprits élevés ? C’est ce que nous indiquera peut-être la suite de cette étude.

Après que ces jolies perles, la Femme de quarante ans, la Rose jaune, un Acte de vertu, l’Anneau d’argent, le Précurseur, eurent paru successivement dans divers recueils périodiques, M. Charles de Bernard les réunit et les publia, au printemps de 1838, sous le titre du Nœud gordien. En même temps, pour affirmer et agrandir ce premier succès, il fit paraître Gerfaut, qui est resté, sinon le plus considérable, au moins le plus célèbre de ses romans.

Pour bien des gens, en effet, Gerfaut est le chef-d’œuvre de Charles de Bernard, comme Eugénie Grandet a été le chef-d’œuvre de Balzac. Un écrivain, presque inconnu la veille, publiant d’un seul coup deux volumes de nouvelles charmantes, accompagnées, en guise de porte-respect, d’un roman taillé dans Les grandes proportions d’alors, — on n’avait pas encore inventé le roman en vingt