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Où porte-t-il ainsi l’étonnant passager ?
Il le porte vers cette France
Où, triste, il a laissé, dans les jours de souffrance,
Son trône et son enfant aux mains de l’étranger,
Et puis sa vieille garde, héroïque espérance !

Dès qu’il peut, à travers les ombres de la nuit,
Reconnaître la terre où domina son glaive,
L’empereur, l’empereur se lève.
Le voilà ! son cœur bat, son sang bout, son œil luit.

Il descend d’un pas ferme et hardi sur la côte.
Par des élans tendres et chauds
Il appelle ses vieux soldats, puis à voix haute
Et d’un ton menaçant, ses trente maréchaux !

Mais, hélas ! les soldats à la fière moustache
Dorment aux bords de l’Èbre, ou du Nil, ou du Pô ;
Sous les sables ardens, sous les neiges sans tache,
Ils sont couchés, rêvant toujours à leur drapeau…
Ou bien l’empereur mort a creusé leur tombeau !

Les maréchaux, du dieu déchu guerriers-apôtres,
Ils ne répondent pas non plus à son appel ;
Les uns ont disparu dans les combats ; les autres,…
Les autres ont changé d’autel.

Et frappant de son pied le rivage sonore,
L’empereur marche courroucé ;
Le long des flots dormans par la fièvre poussé,
Il va, vient, puis appelle encore.

Il appelle à grands cris son cher fils, l’enfant-roi,
L’étoile de sa nuit profonde ;
Il lui promet l’amour et l’empire du monde,
Ne voulant que la France et la gardant pour soi.

Mais le jeune héritier des grandes destinées
Sous le poids de son nom a vu ses jours détruits,
Comme un arbre qui casse aux premières années
Sous l’abondance de ses fruits.

Il s’arrête, il écoute, il attend. — Rien ! — Personne ! —
Il attend ; la lune décroît…
Dans tous ses membres il frissonne,
Mais il attend toujours — L’heure du matin sonne…
Alors ses pleurs brûlans mouillent le sable froid.

Il est là, seul… il cherche encor… son front retombe.
Il pousse un soupir douloureux,
Et lentement remonte au vaisseau vaporeux,
Qui part et le ramène à son île, à sa tombe.


La pensée de ce tableau, le sens de ce mystérieux Cinq Mai, si différent des odes de Manzoni, de Béranger et de Lamartine, c’est