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en perles agrafent le corsage au-dessous du sein, ou passent sous le menton en allant d’une oreille à l’autre. Les jeunes filles de parens riches sont les plus magnifiquement parées, car elles portent sous forme de bijoux toute leur dot, qui monte parfois à des sommes fort considérables ; il est vrai qu’après quelques années de mariage, les sequins et les pierreries diminuent, ce qui me porte à croire que la dot des jeunes filles arméniennes de Césarée n’est pas aussi solidement assurée contre les usurpations du mari que celle de nos demoiselles d’Europe.

C’était réellement un spectacle curieux que celui de toutes ces femmes paradant en plein air, avec leurs diamans, à une élévation que n’atteignent dans nos contrées que les chats et les ramoneurs. Ces dames se promenaient, se rendaient visite (toujours sur les toits), et se livraient gaiement aux jeux et à la danse. Des musiciens ambulans allaient et venaient, et aussitôt qu’ils paraissaient sur une terrasse, les terrasses voisines se vidaient sur celle-là de leurs plus jeunes habitans, puis la danse commençait autour des musiciens. Il n’y a qu’une danse dans l’empire ottoman : c’est la même pour les Turcs, les Arabes, pour toutes les nations musulmanes éparses sur son territoire ; c’est la même pour les Grecs et les Arméniens sujets de la Sublime-Porte, et cette danse universelle mérite à peine le nom de danse. Deux personnes du même sexe, mais toujours vêtues en femmes, se placent vis-à-vis l’une de l’autre tenant à la main des castagnettes si elles en ont, deux cuillères de bois à la place des castagnettes absentes, ou même rien du tout ; mais le mouvement des doigts et la pantomime des castagnettes sont de rigueur. Les deux danseuses courbent et étendent (détirent serait plus exact) les bras, secouent rapidement les hanches, balancent plus lentement le haut du corps, secouent légèrement les pieds sans pourtant les détacher du sol. Tout en continuant ces différentes contorsions, elles avancent, reculent, tournent sur elles-mêmes et autour de leurs vis-à-vis, pendant que la musique, composée d’ordinaire d’un tambour de basque, d’une grosse caisse et d’un chalumeau de berger, marque la mesure, de plus en plus pressée. Ce que cette danse a de gracieux, je l’ignore ; mais ce qu’elle a d’indécent frappe immédiatement les yeux les moins exercés.

À Césarée, j’avais pu observer les Turcs dans le laisser-aller d’une fête populaire. Un de ces contrastes communs en Orient m’attendait à quelque distance de cette ancienne capitale, à Judiehsou : je rencontrai dans cette ville une population grecque connue par son activité, son aptitude au commerce. La plupart des épiciers de Constantinople sont natifs de Judiehsou. J’allai descendre chez l’un des principaux habitans, qui avait mis sa maison à ma disposition. On m’y servit un