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couchant et en nous levant ; mais les effets en sont déplorables pour les pauvres, qui gardent les mêmes hardes sur leur corps un mois durant et plus encore.

Nous étions, comme je viens de le dire, à la fin du carnaval, et mes hôtes m’estimaient fort heureuse d’être arrivée à temps pour jouir de ses plaisirs, qui étaient pourtant plus simples que nombreux. Toutes les réjouissances se passaient sur les toits des maisons, qui, communiquant par de petits escaliers ou même par des échelles les uns aux autres, forment comme une place publique où les habitans du même quartier circulent librement, tout en demeurant à l’abri d’une invasion étrangère. La population arménienne de Césarée (les Grecs y sont en fort petit nombre) perchait donc tout entière sur le haut des maisons, depuis le commencement jusqu’à la fin du jour, dans des costumes de la plus grande richesse. Les hommes placent leur luxe dans la beauté de leurs fourrures ; mais les femmes ne se renferment pas, en fait de toilette, dans de si étroites limites. Elles portent, comme toutes les femmes d’Orient, de larges pantalons, de longues robes en forme de gaines ouvertes sur les côtés pour faire place à la bouffissure des pantalons, plusieurs corsages (placés les uns sur les autres) en étoffes et de couleurs diverses, une écharpe roulée autour de la taille, un fez, des cheveux nattés et pendans, et des pièces de monnaies brochant sur le tout. Il y a de la variété dans la manière d’ajuster les différentes parties de cet accoutrement, comme aussi dans la disposition des accessoires et des ornemens. Les Arméniennes de Césarée se distinguent des femmes des autres villes de l’Asie-Mineure par la délicatesse et l’harmonie des couleurs de leurs étoffes, par la richesse et le goût des broderies dont leurs corsages sont couverts, comme par leur coiffure. Les élégantes ne roulent pas autour de leur tête ces affreux mouchoirs en coton imprimés que la Suisse envoie chaque année par milliers à l’Asie. Le fond du fez et le gland qui en tombe sont brodés en or et quelquefois en perles. Les cheveux forment douze ou quinze petites nattes d’égale longueur et tombant aussi bas que possible ; mais ici les monnaies (en or) ne sont pas reléguées à l’extrémité des nattes : cousues sur un petit ruban noir que l’on applique ensuite sur les nattes, à moitié chemin entre la nuque et le bas des reins, elles forment un quart de cercle brillant qui tranche singulièrement avec la teinte foncée des cheveux. Une profusion de ces mêmes sequins couvre le devant du fez, tombe sur le front, pend aux oreilles, cuirasse le cou, la poitrine et les bras. D’autres bijoux trouvent place parmi ces pièces de monnaies. Des fleurs en diamans sont placées autour du fez ou sur les cheveux qui encadrent le front ; des fermoirs en pierres précieuses, des colliers ou des chaînes