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secours d’une échelle. J’ai demandé aux habitans dans quelle langue elles étaient écrites, car elles ne me semblaient pas en caractères turcs ; les uns m’ont répondu qu’elles étaient en arabe, les autres qu’elles étaient en turcoman. Je pencherais volontiers pour cette seconde version, vu que les caractères arabes sont les mêmes que les turcs ; mais si elle est la véritable, nous sommes condamnés à ne jamais en posséder la traduction, car les caractères turcomans ne sont plus employés nulle part, et je ne crois pas qu’il existe, même au Collège de France ou à la Propagande de Rome, un professeur d’ancien turcoman ou de turcoman littéral. Quant au langage que ce peuple parle aujourd’hui, ce n’est que du turc, et, si on veut l’en croire, le plus pur turc.

Nous passâmes un jour à Kircheir pour nous ravitailler un peu, et le surlendemain de notre arrivée, nous nous remîmes en route. Depuis notre départ d’Angora, l’aspect du paysage était devenu de plus en plus sombre, les villages de plus en plus rares, le temps pluvieux et la population malveillante. La même progression continua de Kircheir à Césarée. Nous marchions des journées entières dans la boue, quelquefois dans la neige, entre des montagnes taillées à pic ou arrondies comme des mottes de terre, sans que notre œil trouvât à se poser sur un objet agréable ou seulement nouveau. Dans les pauvres villages où nous passions la nuit, nous n’apercevions que des visages mécontens, parfois même menaçans, et nous n’entendions que des injures. Nos gardes nous étaient pour l’ordinaire inutiles et quelquefois nuisibles, car ils représentaient, pour ce peuple irrité, l’autorité sous laquelle il gémit. Nous approchions de Césarée. Au sortir d’une gorge étroite et sombre entre des montagnes nues et des rochers grisâtres, nous débouchâmes dans une plaine immense, bornée au sud et à l’ouest par une chaîne de montagnes. La plaine est entrecoupée de tant de cours d’eau, qu’elle ne présente dans sa plus grande partie que des marécages peuplés d’une multitude de canards sauvages. La route, une route pavée, que l’on attribue, comme tous les anciens ouvrages du même genre, à l’impératrice Hélène, circulait au milieu des eaux stagnantes, et le moindre écart de nos chevaux nous eût précipités dans un océan de boue. Au loin, du côté du midi et presque au pied des montagnes, une ligne rougeâtre et onduleuse nous indiquait Césarée. Nous nous arrêtâmes pour déjeuner à un petit village situé au milieu des marais, où l’on nous offrit de l’excellent lait à profusion. Nous nous préparions à remonter sur nos chevaux, lorsque nous vîmes accourir bride abattue un cavalier vêtu à l’européenne ou à peu près, qui, mettant pied à terre et me présentant une lettre, nous salua en italien.

C’était la première fois depuis notre départ de la vallée d’Eiaq-