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les tours de nos plus célèbres prestidigitateurs, je ne trouvais dans mes souvenirs rien qui approchât de ce que je venais de voir. J’avais affaire ici à des hommes ignorans et simples à l’excès ; leurs tours aussi étaient de la plus grande simplicité et ne laissaient guère de prise à l’artifice. Je ne prétends pas avoir assisté à un miracle, je raconte fidèlement une scène que pour ma part je ne saurais expliquer.

J’étais fort émue, je l’avoue, et le lendemain j’écoutai sans sourire les récits d’autres faits merveilleux dont m’entretint le docteur Petranchi, établi depuis plusieurs années à Angora et y remplissant les fonctions d’agent consulaire anglais. M. Petranchi croit que ces derviches possèdent des secrets naturels, ou pour mieux dire surnaturels, moyennant lesquels ils accomplissent des prodiges pareils à ceux des anciens prêtres d’Égypte. Ce n’est pas là mon opinion ; je me contente de n’en avoir aucune, ce qui est le seul moyen de ne pas faire fausse route en certains cas.

Le jour fixé pour mon départ d’Angora arriva enfin. J’avais été assez souffrante pendant mon séjour dans cette ville, et ce ne fut pas sans un secret serrement de cœur que je me retrouvai sur mon cheval, non pas en plein champ, mais en plein désert (car tout le pays qui sépare les grandes villes les unes des autres est ici le désert), exposée à tous les frimas, sans autre défense que mes fourrures, sans autre abri qu’un mauvais toit peut-être, et que ma tente pour pis-aller. Il faut plus de force d’âme qu’on ne pourrait le croire au premier abord pour entreprendre de semblables voyages. La fatigue n’est pas grande, puisqu’on ne marche guère que sept ou huit heures par jour, au pas ou à l’amble, sur des chevaux très doux ; les dangers sont plutôt imaginaires que réels ; les privations sont supportables, car outre les provisions que l’on apporte avec soi, on est à peu près assuré de trouver partout des poules, des œufs, du beurre, du riz, de l’orge, du miel, du café et des matelas. Mais quand on vient à songer qu’il est impossible de se rien procurer au-delà, que nos forces étant épuisées après six heures de marche, il faudra néanmoins achever l’étape, que la maladie nous trouvera sans ressources, qu’aucun abri ne se présentera sur la route, si la neige ou l’ouragan vient à nous surprendre dans le cours de la journée, on éprouve malgré soi une espèce de défaillance mêlée d’angoisse dont il faut soigneusement se garder, car c’en est fait du voyageur s’il y cède.


III. – CESAREE ET LES VILLES DE TAURUS.

On me permettra de changer encore ici un peu brusquement le lieu de la scène. Nous avons quitté la Galatie pour la Cappadoce, nous sommes au milieu des populations turcomanes. Quatre jours se sont écoulés depuis le départ d’Angora. Il s’agit d’atteindre la