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des Soliman, des Sélim et des Bajazet n’avaient pas encore abjuré les odieuses maximes de leur vieille politique, et aucun musulman ne rougissait alors de tromper ni de trahir. Le commandant de l’année impériale fit savoir au bey qu’il était muni d’ordres particuliers pour ce qui le concernait, que son maître, admirant sa bravoure et ses talens, désirait l’attacher à son service, d’autant plus qu’il n’avait pas oublié les mérites de son père, et qu’il souhaitait pouvoir les récompenser dans le fils. Le général ottoman était chargé de promettre à Moussa un pardon illimité, et même, un peu plus tard, des honneurs sans nombre, s’il mettait bas les armes et se rendait seul à Constantinople pour y faire acte de soumission d’abord et y vivre tranquillement ensuite, en attendant qu’il plût au sultan de récompenser son obéissance. Moussa-Bey prêta l’oreille à ces propositions, et peut-être en effet n’avait-il pas de meilleur parti à prendre. Il stipula pourtant quelques conditions pour son pays, pour ses gens et pour sa famille ; puis, tout ayant été arrangé à la satisfaction générale, le drapeau du bey fut abaissé, le pavillon impérial élevé à sa place, les troupes du sultan prirent possession de ce qui restait de la ville, et le bey partit pour Constantinople, accompagné d’une escorte d’honneur que lui donna le pacha triomphant

Il n’y eut à Verandcheir ni pillage, ni massacre, ni exécutions militaires : ce fut le bey qui paya pour tous. Dès son arrivée à Constantinople, les soldats de l’escorte d’honneur se transformèrent en gardes et en geôliers : Moussa fut enfermé dans un cachot, et y eut la tête tranchée après trois jours de captivité. Ce n’est pas tout : ses femmes, ses jeunes frères et ses enfans furent arrêtés aux environs de Verandcheir, dans leur propriété d’Eiaq-Maq-Oglou, où la famille s’était retirée lors du départ du bey. On les envoya comme lui à Constantinople, et on les vendit comme esclaves. Leurs biens furent confisqués, et de cette maison, naguère si puissante, il ne resta plus que le vieil Osman, qui ne se permit pas un seul murmure, et qui reçut, en échange de ses richesses perdues, une pension suffisante pour soutenir le rang qu’on lui laissait. Le vieillard mourut peu de mois après son fils, triste, mais silencieux, sans se plaindre et sans parler de ses malheurs, témoignant pour son souverain cet amour et cette reconnaissance qui échauffent le cœur du pieux et vrai chrétien, lorsqu’il loue et glorifie le Seigneur d’avoir appesanti sa main sur lui-même et sur les siens. Qu’était-ce donc que cet Osman-Pacha ? Était-ce une âme stoïque, un cœur dévoué, un fanatique, un imbécile ou un rusé compère ? Je ne me charge pas de répondre à ces questions.

Sultan Mahmoud ne survécut pas longtemps à son fidèle serviteur