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russe. Nous voici donc replacés dans cette alternative suprême : si la Russie a été sincère en acceptant les conditions stipulées à vienne, rien de mieux : si elle n’a eu pour but que de tenter une de ces diversions déjà pratiquées par sa diplomatie, outre qu’elle ne réussirait que très partiellement aujourd’hui, ce ne serait point, on le comprend, un acheminement direct à une pacification prochaine, et c’est là ce qui est à craindre encore.

Mais il y a une autre considération destinée à peser d’un plus grand poids dans la balance et à exercer une influence prépondérante dans les conjonctures actuelles : c’est que le secret de la paix n’est point seulement à Vienne, il est surtout en Crimée, et il n’est peut-être bien réellement que là. À vrai dire, c’est devant Sébastopol que se débat la question du véritable sens à attacher à l’article qui stipule la cessation de la prépotence russe dans la Mer-Noire. La diplomatie peut beaucoup, nos soldats peuvent encore plus pour trancher ce nœud redoutable. Des négociations vont donc s’ouvrir, mais la guerre continuera, et elle ne peut pas ne pas continuer dans les circonstances présentes, après les divers incidens qui ont signalé cette lutte. Voilà ce qui peut faire une étrange part à l’imprévu dans l’œuvre que la diplomatie est sur le point de reprendre. Qu’il y ait eu des déceptions, des fautes peut-être assez inévitables dans la première partie de la campagne qui se poursuit ; qu’on se soit trouvé en présence de difficultés qu’on n’avait point encore entrevues, cela n’est point douteux. La vérité est que l’expédition de Crimée avait été primitivement conçue plutôt comme un coup de main hardi et irrésistible que comme un ensemble d’opérations méthodiques et régulières. On s’était peut-être rendu peu de compte d’abord des moyens de résistance, accumulés par la Russie, de la position exacte des lieux, de la valeur des travaux de fortifications qu’il y avait à emporter. Plus tard, il a fallu procéder à un investissement qui n’a pu être qu’incomplet, s’assurer dans des positions égales à celles des Russes, lutter contre les formidables ressources d’une puissance qui a tout fait pour s’asseoir dans un nid d’aigle inexpugnable. Qu’on le comprenne bien : ce n’est point une place forte ordinaire qui se défend du haut de ses remparts ; c’est une artillerie de douze ou quinze cents bouches à feu qui descend sur les glacis, se développe à l’abri d’ouvrages nombreux, chemine de tous côtés selon les chances de la lutte, et livre aux armées alliées un combat incessant depuis le premier jour. Il a fallu soutenir cette lutte, livrer une bataille gigantesque à l’armée russe, grossie de tous les renforts accourus du Danube, et en même temps supporter les rigueurs d’une saison contraire. C’est là le côté faible de notre situation militaire, qui exigeait de sages et nécessaires lenteurs. Le bon et grand côté, c’est l’inébranlable courage de nos soldats, et tout indique aujourd’hui que leur nombre va être à l’égal de leur courage pour les mettre à même de tenter quelque opération décisive. Déjà des renforts considérables sont arrivés en Crimée. Décemment encore, une brigade de la garde impériale partait pour l’Orient. Les flottes alliées n’ont plus à leur tête l’amiral Hamelin et l’amiral Dundas ; elles n’ont rien perdu assurément en passant sous les ordres des amiraux Bruat et Lyons. Ce n’est point sans motif que l’un et l’autre ont été laissés à la tête de nos escadres pour diriger les dernières opérations. C’est par eux principalement, réunis au maréchal Saint-Arnaud, qu’a été décidée l’expédi-