Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les introduire partout. Si vous ne mettez pas d’hommes dans la lune, vous disent-ils, à quoi voulez-vous faire servir ce bel astre, qui d’un bord à l’autre a plus de. 3,000 kilomètres, et dont la masse, fixée récemment par M. Le Verrier, est la quatre-vingt-quatrième partie de la masse de la terre !? C’est comme si l’on perdait ici-bas une ou deux des quatre parties du monde. L’objection parait pressante ; mais ceux qui la font s’exposent à ce qu’on leur demande à quoi a servi la terre elle-même pendant bien des siècles, puisqu’il n’y a que six mille ans environ qu’elle est peuplée par la race humaine ? Est-il donc si difficile d’admettre le doute et l’indécision parmi les élémens de la raison ?

Je terminerai par quelques mots sur l’habitabilité des comètes. En général on n’y a pas mis des habitans avec autant d’insistance que sur la lune. Il en est bien un peu question dans les entretiens de Fontenelle ; mais s’il est une constitution physique qui n’admette pas de supposition pareille, c’est certes celle des comètes. On ne peut trop redire que la matière qui compose ces astres est tellement légère, tellement gazeuse, tellement disséminée, qu’il n’y a aucune imagination qui puisse se figurer cet excès de rareté. Plusieurs bons esprits se sont plu à entretenir les craintes anciennes que causait leur apparition, et ils ont recherché ce qui arriverait dans le cas du choc d’une comète avec la terre. Ils voyaient aussitôt les mers sortir de leurs bassins et balayer le monde. L’inclinaison de l’axe de la terre changeait. Une rotation nouvelle se produisait ; il y avait un nouvel équateur, un nouvel écliptique. Tout ceci arrivait parce qu’on faisait de la comète un corps consistant et massif comme la terre. Or la masse d’une comète est tellement petite ! , que la terre, en la choquant, ne serait pas plus ébranlée dans sa stabilité qu’un convoi immense sur un chemin de fer ne l’est de la rencontre d’un moucheron. Il me suffira d’ajouter à tout ce que j’ai déjà dit là dessus ces paroles de sir John Herschel[1] : « La queue d’une grande comète, autant que nous pouvons nous en faire une idée, se compose d’un petit nombre de livres de matière, peut-être même seulement de quelques onces ! » D’autre part, le poids de la terre est de cinq mille sept cents milliards de milliards de tonnes, ou, en chiffres,

5,700000,000000,000000,000000 de kilogrammes.

Mais ici connue partout le charlatanisme d’un côté, le besoin d’émotions de l’autre, l’emporteront toujours sur la froide vérité.


BABINET, de l’Institut.

  1. Outlines of Astronomy, art. 559.