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où étaient les beaux aphorismes d’Aristote sur la coexistence des organes et sur l’exclusion que l’un donnait à l’autre ? Et cependant on n’avait point changé de planète : que serait-ce si on abordait un monde nouveau ?

La logique seule suffit bien souvent pour embarrasser les fabricateurs d’habitans des mondes étrangers. Ainsi, comme le soleil a son diamètre égal à cent douze fois celui de la terre, on le gratifiait d’habitans ayant une taille égale à cent douze fois la nôtre, ce qui, pour les beaux hommes solaires, faisait une hauteur de 200 mètres, c’est-à-dire environ trois fois les tours de Notre-Dame de Paris ; mais comme la pesanteur est à la surface du soleil environ vingt-huit fois ce qu’elle est sur la terre, qu’un habitant de la terre serait sur ce vaste globe comme s’il portait sur ses épaules le poids de vingt-huit de ses semblables, et que par suite il ne pourrait se tenir debout, force fut de réduire les indigènes solaires, et de géans qu’on les avait d’abord imaginés, d’en faire des pygmées. Au lieu de titans bâtissant des coupoles de la hauteur du Mont-Blanc, c’étaient des peuples de la taille de nos rats, se traînant péniblement vers de petits édifices péniblement construits ; en un mot, c’était tout l’opposé de la première idée. Cette même objection subsiste encore pour les habitans de Jupiter, que M. Brewster, à tout hasard, fait très grands, car la pesanteur est sur Jupiter deux ou trois fois celle que nous avons ici, et les promeneurs à vide seraient déjà assez embarrassés de se porter eux-mêmes, à moins qu’on n’imaginât des forces vitales et musculaires tout autres qu’ici-bas, ce qui ne s’accorderait pas avec les propriétés physiques de la matière.

C’est à cette ressource que sont réduits les colonisateurs obstinés de notre lune. Ils y mettent des habitans qui vivent sans eau, sans air, sans nourriture, puisqu’on n’y voit aucune végétation. Tout le monde sait qu’excepté le sel, qui est un assaisonnement, tous nos alimens quelconques proviennent d’êtres vivans, soit plantes, soit animaux. Les lunariens, comme on les appelle, seraient donc réduits à lécher les rochers volcaniques de leur immuable contrée ; mais de plus ils ne doivent avoir marqué aucune empreinte de leurs pas sur des sentiers ou des chemins perceptibles à nos instrumens ; enfin ils doivent eux-mêmes être invisibles, même en troupes nombreuses, car autrement ils tomberaient sous nos sens. Je n’ai pas présent à la mémoire le nom du savant qui voulait disposer dans les steppes de la Russie des signaux de feu en figures géométriques pour provoquer les lunariens à une correspondance. D’après ce que nous venons de dire, la seule réponse qu’on pourrait en attendre, c’est qu’ils n’existent pas.

Il est une espèce de raisonneurs qu’il n’est pas facile de contenter, ce sont les partisans des causes finales, ou plutôt ceux qui veulent