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distinct de la vitalité des plantes et de l’instinct des animaux. Si haut que ce principe d’intelligence place l’homme, il est encore assez inférieur à la puissance créatrice pour qu’on puisse admettre que l’âme est entrée sur la scène du monde au moment où une organisation convenable s’est produite suivant les prévisions de l’auteur de la nature, ce qui est une création tout aussi réelle, mais bien plus noble, que la fabrication immédiate de l’être humain, que rien d’ailleurs n’empêche de regarder comme symbolique.

Je ne puis éviter de répéter ici que ces quatre grands principes du monde terrestre, — la matière brute, le principe de la vie, le principe de l’instinct et l’âme, — peuvent être définis expérimentalement, c’est-à-dire d’après les faits. On peut établir que le principe de vie, commun aux végétaux, aux animaux et à l’homme, est caractérisé par sa dérogation aux lois de la physique, de la chimie et de la mécanique, qui gouvernent les substances purement matérielles. Le principe de l’instinct ou de la volonté peut être défini comme étant le principe que les animaux et l’homme possèdent, à l’exclusion de la matière inorganique et des végétaux. Enfin on peut considérer l’âme comme étant l’essence intellectuelle que possède l’homme, à l’exclusion de tous les autres êtres de la création actuelle.

Comme, à chaque changement de scène qui a eu lieu sur notre globe, des êtres de plus en plus parfaits y ont apparu, l’analogie et l’imagination entrevoient avec complaisance l’apparition d’un être plus parfait, doué d’un principe nouveau, qui serait autant supérieur à l’âme que celle-ci est au-dessus de l’instinct animal. Alors, par rapport à ce nouveau souverain de la terre, l’homme ne serait que ce que le chien est à l’homme. M. Whewell semble caresser complaisamment cette idée, qui du reste n’est pas neuve ; mais en tout cas, et heureusement pour nous, il faudra longtemps attendre la réalisation des belles destinées de notre terre, car cette mutation d’êtres coïnciderait sans aucun doute avec une nouvelle catastrophe de la surface terrestre qui changerait la nature de l’air et la proportion de ses gaz. Or la dernière catastrophe est tellement récente (puisqu’on ne peut la faire remonter beaucoup au-delà de six mille ans), que l’ordre physique actuel est établi pour bien des milliers et sans doute pour bien des millions d’années. Nous en avons la preuve dans les immenses périodes de temps qu’ont exigées les formations intermédiaires entre deux époques de catastrophes superficielles de la terre, temps qui sont presque incalculables.

Mais, dira-t-on encore, s’il suffit d’un changement brusque dans l’air, dans la chaleur et dans les autres circonstances météorologiques de la terre pour changer la forme de la vie animale et végétale, et même pour introduire des principes nouveaux, n’y aurait-il pas