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se refuser à l’idée que la terre ait été faite pour être habitée par des êtres vivans, puisqu’il y a une telle harmonie entre ces êtres et les climats de notre planète, que l’idée d’habitation se lie immédiatement à l’idée d’habitabilité, et que, puisque nous reconnaissons les planètes comme habitables, il est presque certain qu’elles sont habitées : autrement à quoi servirait leur habitabilité ?

Il n’entre pas dans notre plan d’énumérer toutes les analogies qui existent entre notre terre et les planètes, et qui sont autant d’argumens en faveur de l’existence d’êtres vivans à leur surface ; car, puisqu’il y a de ces êtres sur l’une des planètes, c’est-à-dire sur notre terre, pourquoi n’y en aurait-il pas ailleurs ? En fait d’opinions probables, le pourquoi non de Fontenelle a une grande autorité. Cependant il est d’autres corps massifs et matériels que les planètes ; il y a les lunes et les soleils, sans compter les comètes : que nous apprend la science là-dessus ? Notre lune, notre seule lune, a été observée par le puissant télescope de lord Rosse, infiniment supérieur au télescope d’Herschel. Or voici ce qui résulte de l’exploration minutieuse de la surface de cette lune terrestre : d’abord point d’atmosphère, point d’air respirable, point de mers, de lacs, de fleuves, point de nuages, de pluies, de rosées. Voilà déjà bien des élémens qui manquent pour y admettre des êtres vivans analogues à ceux de la terre. Euler réclamait des télescopes de plusieurs centaines de pieds d’ouverture pour apercevoir les plus grosses bêtes de la lune. Un autre savant voulait une lunette de quatre kilomètres de long pour le même objet. Le télescope de lord Rosse ne rendrait pas sans doute visible un éléphant lunaire, mais un troupeau d’animaux analogue aux troupeaux de buffles de l’Amérique serait très visible ; des troupes qui marcheraient en ordre de bataille y seraient très perceptibles. Les constructions non-seulement de nos villes, mais encore des monumens égaux aux nôtres en grandeur, n’échapperaient pas à un œil astronomique dont la pupille a deux mètres d’ouverture. L’observatoire de Paris, Notre-Dame ou le Louvre s’y distingueraient facilement, et encore mieux les objets étendus en longueur, comme le cours de nos rivières, le tracé de nos canaux, de nos remparts, de nos routes, de nos chemins de fer, et enfin de nos plantations régulières. Les vicissitudes des saisons n’y ont point lieu, la pluie et la neige ne pouvant y tomber, puisqu’il n’y a point d’eau ; mais tous les changemens dus à la végétation, s’il en existait, seraient observables, même à la vue simple. Qu’on se figure un homme transporté sur la lune et de là contemplant la terre en hiver et au printemps ; il verra succéder une teinte verdoyante à la couleur grise et terne du sol et des arbres dépouillés de feuilles : or rien de tout cela ne s’observe à la surface de notre satellite.