Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/365

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le rail-way de Saint-Étienne à Andrezieux et celui de la Quérillière, ou plutôt, comme on dit habituellement, d’Andrezieux à Roanne, n’avaient qu’une seule voie, avec des rails d’évitement aux gares. Le chemin de Lyon au contraire, bien plus savamment construit que les deux autres, avait reçu deux voies, sauf dans quelques souterrains. À un moment où les ateliers de l’industrie privée ne pouvaient avoir aucune idée des besoins du nouveau système de locomotion, les entrepreneurs furent obligés de fabriquer eux-mêmes la plus grande partie de leur matériel. Un d’eux, chargé spécialement de l’organisation du service, faute d’un nombre suffisant de mécaniciens, conduisait lui-même les convois. Ce qui manquait alors, et ce qui manqua longtemps à notre pays, ce n’étaient pas des ouvriers capables d’exécuter un travail indiqué, c’étaient surtout des contre-maîtres pour en diriger l’exécution. Telle fut la cause principale de notre infériorité en fait de constructions mécaniques vis-à-vis de l’Angleterre, infériorité d’où quelques grands établissemens habilement conduits ont fini par nous relever.

Le besoin de créer à tout moment, et comme par improvisation, les moyens de satisfaire à d’impérieuses nécessités a donné lieu, sur le chemin de Saint-Étienne à Lyon, aux plus utiles expériences. Les idées ingénieuses abondent dans les combinaisons qui se rapportent à ce que j’appellerai la partie technique de l’entreprise ; malheureusement on ne porta pas des vues aussi prévoyantes, aussi habiles, dans l’exploitation commerciale. Loin de chercher à s’accommoder aux exigences locales, on voulut imposer violemment au commerce ses propres convenances. On avait raison, sans aucun doute, de résister à certaines prétentions abusives, par exemple à celle qu’émettaient les extracteurs de houille, de faire opérer en trois ou quatre mois, dans la saison des ventes, le transport de tous leurs charbons, sauf à laisser ensuite inactif le matériel de la compagnie ; mais on poussa la résistance jusqu’à des limites extrêmes, jusqu’à vouloir réglementer arbitrairement les transports et à n’avoir qu’un matériel insuffisant pour les besoins réels. Dans les détails du service, on suscitait aux expéditeurs mille difficultés tracassières ; on élevait mille prétentions injustifiables ; on recourait à mille subterfuges en vue de hausser les tarifs existans pour le transport des marchandises. Ce que ces procédés soulevèrent de plaintes et de récriminations est incalculable ; le chemin se trouva en lutte ouverte avec presque tous les intérêts locaux. Dès qu’on jette les yeux sur les longues enquêtes auxquelles il fut procédé par les soins de l’autorité[1], on reconnaît que les difficultés viennent surtout de l’imprévoyance du cahier des charges, imprévoyance d’ailleurs inévitable, car personne en 1827 n’était en mesure de définir les obligations qui devaient incomber aux chemins de fer. Les contestations auxquelles donnait lieu cette absence de règles précises, on comprend sans peine qu’elles aient surgi, principalement sur le chemin de Lyon à Saint-Étienne, qui possédait une clientèle infiniment plus considérable que celle des deux autres chemins de la Loire, et

  1. On peut consulter ces enquêtes dans un livre intitulé Lois européennes sur les chemins de fer, publié à Saint-Étienne en 1837 par M. Smith, conseiller à la cour impériale de Lyon, membre et rapporteur d’une des commissions locales. Ce livre a d’ailleurs le mérite de résumer l’état de la science des chemins de fer au moment où il a paru.