Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

millions de francs, et dont la longueur est de 586 kilomètres, a dû être reconstruit dix ans après son ouverture[1]. Avec de telles dispositions. on le devine aisément, les États-Unis ne devaient pas se préoccuper beaucoup, dans l’établissement des voies ferrées, de la solidité ni de la régularité des travaux ; que les trains pussent y circuler, et ils n’en demandaient pas davantage ; aussi leurs constructions furent-elles loin de répondre aux règles de l’art. Aucune comparaison n’est possible sous ce rapport entre l’Amérique et nos pays européens, l’Angleterre par exemple et surtout la France. Si nous avons quelquefois assujetti nos chemins de fer à des conditions trop uniformes et trop rigoureuses, les Américains au contraire ont poussé jusqu’à l’abus les facilités laissées aux entrepreneurs. On fit usage de tout, même pour le transport des voyageurs : rails en fer, rails en fonte, rails en bois. On ne redouta point les courbes à rayon extrêmement réduit qui diminuent singulièrement les frais de construction[2]. On se contenta de modérer la vitesse sur les chemins trop défectueux. Aussi dès l’année 1834, quand l’Angleterre en était encore à peu près réduite à l’exploitation du rail-way de Liverpool, l’Amérique possédait déjà 1, 200 kilomètres de chemins de fer où la circulation était en pleine activité.

Dans ces deux pays, les voies en fer ont été généralement concédées à des compagnies particulières, en dehors de la responsabilité de l’étal, sous la réserve de certaines conditions qui se rapprochent souvent les unes des autres[3]. Le génie propre à chacun des deux peuples, leur constitution sociale si différente se manifestent en traits frappans dans certaines circonstances inhérentes à l’exploitation même. En Angleterre, où domine la forme aristocratique, on ne songea pas d’abord à la masse de la population ; on n’établit pas de voitures d’un prix accessible aux ouvriers. Les trains ne comprenaient que des voitures de première classe pour la noblesse et la bourgeoisie riche, et des voitures de deuxième classe, dont le prix était encore élevé, pour la petite bourgeoisie. Ce ne fut que vers l’année 1841, après que la loi eut modifié le système de la taxe, primitivement égale pour les voyageurs de toute classe, que les compagnies purent établir des voitures de troisième ordre. Encore quelles voitures ! Non-seulement, à l’origine du moins, elles n’étaient pas couvertes, mais le voyageur était obligé de s’y tenir debout. Les trains qui les contiennent sont appelés parliamentary trains, et passent pour une gracieuseté

  1. Ce canal avait été commencé en 1817. L’essor des canaux en Amérique date de la même époque ; mais on mena si vite cette besogne, que douze ou quatorze ans plus tard. quand les chemins de fer prévalurent dans l’opinion publique, les États-Unis possédaient 4,000 kilomètres de canaux. Voyez l’important ouvrage de M. Michel Chevalier, Histoire et Description des voies de communication aux États-Unis d’Amérique, et The Progress of America, par M. Mac Culloch.
  2. On est étonné de la modicité du prix de revient des chemins de fer en Amérique. On l’évalue en moyenne à 150,000 francs le kilomètre. En Angleterre, cette moyenne dépasse 400,000 fr. On la porte en France de 300 à 350,000 fr. En Belgique, où le chiffre est regardé comme très bas, il est encore de 267,000 francs. Il est inutile de dire que ces chiffres sont nécessairement arbitraires, parce que la dépense a varié suivant les localités et les temps ; mais ils forment une indication comparative utile à connaître.
  3. Voyez l’ouvrage publié en 1840 par M. Bineau. Chemins de fer de l’Angleterre et Législation qui les régit.