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villes de l’ouest de l’Angleterre, Manchester et Liverpool. Le rapide développement de ces deux cités avait tenu du prodige. Les découvertes de Watt et d’Arkwright avaient singulièrement accru l’importance manufacturière de Manchester. En 1790, on n’y trouvait qu’une seule machine à vapeur, tandis que, vingt-cinq ans plus tard, il y en avait au moins deux cents. L’introduction des métiers mécaniques n’y datait que de 1814, et en 1824 on en comptait trente mille. Chaque jour voyait grossir le faisceau de cette fabrique. En cinquante ans, la population s’y accrut de plus de cent mille âmes. Les relations de cette ville se multipliaient également avec le port de Liverpool, où ses fabricans s’approvisionnaient de matières premières, et d’où ils acheminaient ensuite leurs produits vers les diverses contrées du monde. À côté de Manchester, Liverpool grandissait aussi, peut-être même avec une rapidité encore plus étonnante. En moins de trente-cinq ans, le nombre des habitans s’y était accru de plus de cent mille. Impatiens du tribut que les canaux prélevaient sur eux, les négocians et les industriels des deux cités étaient disposés d’avance à accueillir favorablement toute innovation propre à les affranchir d’un monopole odieux. Aussi, dès que la possibilité de construire un chemin de fer fut entrevue, les adhésions arrivèrent en foule. Un comité s’organisa, des ingénieurs se mirent à l’œuvre et dressèrent des plans. On étudia avec soin les lignes existant dans les districts houillers. Un bill fut ensuite introduit devant la chambre des communes. En dépit de nombreuses précautions prises pour ménager les craintes des grands propriétaires fonciers, ce bill ne put passer même à cette chambre, il échoua sous l’influence de la propriété territoriale, à la suite d’une discussion longue et passionnée. Un second bill fut plus heureux, mais seulement après que des satisfactions nouvelles eurent été accordées à quelques puissans lords du pays. Encore ce qui contribua le plus à aplanir les derniers obstacles devant la demande de Liverpool et de Manchester, ce ne fut pas l’espérance que cet essai deviendrait un exemple pour tout le royaume-uni ; ce fut au contraire une pensée dont il se rencontre encore des traces sept ou huit ans plus tard, la pensée que les chemins de fer ne pourraient jamais être créés qu’entre des villes très populeuses et voisines les unes des autres.

La concession avait été faite en 1826, et au bout de quatre ans à peine, en 1830, commençait l’exploitation de la ligne. L’ouverture solennelle, qui eut lieu le 13 septembre 1830, sous les yeux d’une foule haletante d’impatience et de curiosité, fut, comme on sait, tristement signalée par la mort d’un homme politique dont l’esprit libéral a exercé une large influence sur la législation économique de son pays, M. Huskisson. Le trajet entre Liverpool et Manchester s’effectua, presque dès le principe, en une heure, et demie pour les voyageurs et en trois heures pour les marchandises. La distance est de 50 kilomètres. Les frais de construction, primitivement évalués à 10 millions de francs, s’étaient élevés à 35 millions, en y comprenant l’achat du matériel d’exploitation et divers travaux terminés après l’ouverture. Le prix de revient était ainsi de 700,000 francs par kilomètre. En revanche, les récoltes dépassèrent aussi toutes les prévisions. On s’attendait à un produit de 250,000 francs pour le transport des voyageurs, et on reçut 2,545,000 francs. En moins de quatre ans, le chiffre des marchandises transportées quadrupla. Autre circonstance favorable, les accidens furent extrêmement rares : sur les