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prétexte qu’on allait dépeupler les campagnes. Sa protection s’offre d’elle-même à toutes les industries propres à améliorer le système des transports. Pendant qu’on travaille aux routes, la noblesse anglaise consacre son argent et ses loisirs à l’amélioration de la race chevaline indigène. Elle entourage l’art de construire les voitures ainsi que tous les arts accessoires, et elle les encourage si bien, qu’ils atteignent rapidement à une perfection inconnue chez aucun autre peuple. Objet des soins les plus attentifs, le métier de postillon se transforme en une science véritable, dont l’étude est entourée de considération, et à laquelle ne dédaignent pus de se vouer, avec cette excentricité particulière aux Anglais, des hommes appartenant aux familles aristocratiques. Grâce à cette sollicitude, en un quart de siècle tous les services publics doublent leur vitesse. Si nous reportons nos regards à vingt ans en arrière, nulle part au monde les transports ne s’effectuaient alors avec autant de rapidité et de sécurité qu’en Angleterre.

Ce désir croissant d’aller vite, qui disposait les esprits à se passionner plus tard pour les voies ferrées, avait stimulé le zèle des ingénieurs ; c’était à qui trouverait de nouveaux moyens de construire les routes en amoindrissant les aspérités du terrain. Un système bien connu, celui de M. Mac-Adam, qui consiste à polir la surface du sol, obtint, comme on sait, un succès considérable et peut-être exagéré. Une autre méthode, celle des routes dites routes à la Stevenson, un moment très préconisée, se rapprochait de l’idée même des chemins de fer. Elle consiste à poser sur les routes des assises en larges pierres solidement jointes, formant deux bandes, et sur lesquelles portent les roues des voitures[1].

Pendant qu’on accélérait ainsi les voyages par terre, on n’était pas moins préoccupé de rendre facile et peu coûteux le transport par eau des matières premières et des marchandises. On se livrait avec ardeur à la construction des canaux. Avant 1760, pas un seul canal n’existait sur le sol anglais ; le premier qui fut établi, celui de Liverpool à Manchester, est dû à l’esprit entreprenant du duc de Bridgewater, dont il a gardé le nom. On avait d’abord considéré cette œuvre comme un acte de folie. À quelques années de là, cette folie devint un exemple qu’on s’efforça de suivre sur tous les points du pays. Ces voies nouvelles s’étendirent bientôt sur un espace d’environ 8,000 kilomètres. Des bénéfices presque fabuleux réalisés dans quelques-unes de ces opérations avaient précipité l’élan de la faveur publique[2]. On devine sans peine quelle hostilité devaient rencontrer chez les opulens détenteurs des canaux les premières tentatives de locomotion sur des voies ferrées. Les canaux s’étaient accoutumés à exploiter les besoins du commerce avec une âpreté d’autant plus intraitable qu’ils se croyaient généralement à l’abri de toute concurrence. Là où l’existence de plusieurs voies aurait pu amener l’abaissement des tarifs, des accords s’étaient formés entre les compagnies de manière à perpétuer le monopole. Les propriétaires du canal de Bridgewater, par

  1. On peut voir une sorte d’échantillon des routes à la Stevenson établi tout nouvellement aux portes de Paris, entre l’Arc de Triomphe de l’Étoile et Neuilly.
  2. Il y a tel canal qui valut pendant cinquante années à ses actionnaires un revenu égal au chiffre primitif de chaque action, il n’était pas rare de voir ces titres monter jusqu’à plus de vingt fois leur valeur originelle.