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et toutes les branches de la consommation, et cet équilibre, s’il était parfait, anéantirait la cause la plus fréquente des crises industrielles. L’histoire des chemins de fer touche enfin à nos mœurs publiques. Elle nous montre l’influence des intérêts matériels dans ce qu’elle a de dangereux rumine dans ce qu’elle a de salutaire ; elle nous rend témoins de brûlans débats et d’entraînemens passionnés qui portent en eux-mêmes de précieuses leçons.

Il n’est pas aussi difficile qu’on le pourrait croire de se reconnaître au milieu des faits qui se rattachent à l’origine et au développement des chemins de fer. L’enchaînement chronologique de ces faits forme un fil conducteur d’autant plus sûr, que les résultats obtenus ont toujours rigoureusement procédé les uns des autres. Trois divisions répondent tout naturellement aux trois périodes parcourues. La première époque, époque d’inventions durant laquelle s’agitent tant d’aspirations ignorantes encore de leur but, nous devrons l’étudier en Angleterre, aux États-Unis et en France, mais surtout en Angleterre. Durant la seconde, signalée par des études scientifiques, par des discussions multipliées, c’est la France qui deviendra le principal objet de nos investigations. Enfin l’ère des réalisations, l’ère des grandes exploitations commerciales, qui ne commence pas partout à la même heure, met en relief le génie singulier de presque tous les peuples civilisés : l’Allemagne notamment prend alors un rôle des plus saillans. Les nombreuses questions que soulève le régime actuel des chemins de fer, questions si importantes pour toutes les classes de la société ou plutôt pour la civilisation générale, appartiennent à cette dernière période. Chacune des trois époques a son caractère distinct, on le voit, et doit être pour nous l’objet d’une étude particulière, qui nous fera suivre la grande industrie des voies ferrées dans ses divers degrés de développement et sur les divers théâtres d’action où elle s’est successivement produite.


I. – LES PREMIERS CHEMINS DE FER EN ANGLETERRE ET AUX ÉTATS-UNIS.

Le désir à peu près universel d’améliorer les anciennes voies de communication était venu, dès le début de ce siècle, révéler les tendances de notre époque. Des deux pays qui donnèrent les premiers l’exemple d’essais hardis et systématiques, l’un tenait en Europe le premier rang dans la carrière de l’industrie, l’autre se développait avec une étonnante exubérance sur un sol affranchi d’entraves. Longtemps avant que la vapeur fût employée comme moyen de locomotion, l’Angleterre et les États-Unis entreprenaient des travaux qui devaient peu à peu lui préparer la carrière. Nous voyons d’abord les Anglais tout occupés à renouveler chez eux le système de la grande voirie ; au lieu de routes rares ou mal entretenues, ils dessinent un réseau magnifique qui enveloppe leur île. Les anciens intérêts, ceux de la propriété foncière, se mettent ici en parfait accord avec les intérêts nouveaux, les intérêts industriels. Si le commerce réclamait pour ses mouvemens des facilités agrandies, l’aristocratie anglaise avait aussi de son côté un réel besoin de rendre moins incommodes l’accès de ses châteaux et l’exploitation de ses champs. Aussi se montre-t-elle dégagée en ce moment des appréhensions aveugles qui à une autre époque, quand s’établirent, il y a près de deux siècles, les premières voitures publiques, l’avaient poussée à combattre cette innovation, sous