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triompher de l’espace et du temps ; il restait pour ainsi dire à supprimer les distances. La révolution accomplie dans les moyens de transport est le plus éclatant témoignage que le XIXe siècle pouvait donner de son génie industriel. Aussi voyez comme le sentiment des effets attachés à la vitesse entraîne toutes les nations à perfectionner et à développer les voies de communication ! Que de travaux, que de merveilles depuis les améliorations accomplies sur les routes ordinaires jusqu’à l’établissement de ces fils électriques qui reçoivent le dépôt d’une pensée et pourraient la porter en un clin d’œil aux extrémités de la terre ! Parmi les créations contemporaines de ce genre, s’il en est une qui paraisse destinée plus que les autres à seconder l’œuvre du siècle en facilitant le rapprochement des peuples, ce sont évidemment les chemins de fer.

Au point où elle en est arrivée aujourd’hui, l’industrie des chemins de fer a traversé les trois périodes qui marquent le développement de toute création durable, Elle a eu son âge de tâtonnemens et d’essais, puis elle s’est affermie et elle a grandi ; enfin elle s’est répandue sur toute la surface du monde civilisé. Déjà les chemins de fer forment un réseau gigantesque dont les principales artères sont à peu près terminées. Le continent européen, par exemple, en est sillonné. Les capitales des différens pays de l’Europe centrale sont mises en rapport direct et rapide les unes avec les autres. Les chemins de fer parviennent aux embouchures de presque tous les grands fleuves, de la Vistule, de l’Oder, de l’Elbe, du Weser, du Rhin, de la Seine, de la Loire, de la Garonne, du Rhône. Ils relient les principaux ports de commerce avec les villes de l’intérieur. Dans les îles britanniques, ils ne se comptent plus ; ils touchent à tous les points où il y a de la vie. Aux États-Unis d’Amérique, ils atteignent aux solitudes de l’ouest, et ils descendent en tous sens des lacs et des fleuves glacés du nord vers les régions méridionales. Le moment semble arrivé de considérer chacune des phases que les chemins de fer ont traversées, de se recueillir en face des résultats qu’ils ont amenés. Certaines découvertes, certaines applications du génie de l’homme (et l’industrie des chemins de fer est de ce nombre) ont le privilège de représenter mieux que d’autres le caractère de l’âge qui les voit naître. C’est à l’époque où sévit la guerre de cent ans que se produit la découverte de la poudre à canon. L’imprimerie apparaît à la veille du grand mouvement intellectuel qui va remuer si profondément le XVIe siècle. La découverte des diverses applications de la vapeur devait être l’apanage d’un temps voué à étendre l’influence de la civilisation par le développement de sa puissance matérielle. L’usage de la vapeur répond par exemple à quelques-unes des aspirations les plus caractéristiques de notre époque. Ces voies nouvelles ne sont-elles pas favorables au mouvement qui t’ait entrer dans la vie sociale un nombre d’hommes de plus en plus considérable, et qui constitue ainsi le plus manifeste progrès de la civilisation ? N’est-ce pas leur rôle naturel (et plus encore leur rôle futur que leur rôle présent) de servir au développement de l’instruction et du bien-être parmi les masses ? Les chemins de fer peuvent agir aussi de la manière la plus heureuse, sur le prix des denrées alimentaires, parce qu’ils doivent forcément entraîner la réduction des frais de transport. En même temps qu’ils multiplient les élémens de travail, ils facilitent l’établissement d’un équilibre entre toutes les branches de la production