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cette maladie : il y soupçonnait apparemment quelque artifice imaginé pour endormir sa vigilance. Le 16 février 1821. il doutait encore, mais son incrédulité commençait à être ébranlée. Lord Bathurst écrivit ce jour-là à sir Hudson Lowe une lettre inspirée par ce sentiment si naturel au cœur humain qui fait qu’à l’approche de la mort de ceux qu’on a détestés et redoutés pendant leur vie, les haines les plus violentes et les plus enracinées rougissent en quelque sorte d’elles-mêmes, et font place à une mélancolique commisération où se mêle une sorte de remords. « Je sais, disait-il, combien il est difficile de faire au général Bonaparte une communication quelconque qui ne risque d’être mal interprétée par lui. Cependant, s’il est réellement malade, il pourra trouver quelque consolation à apprendre que les rapports qui ont été faits à plusieurs reprises, dans ces derniers temps, sur l’affaiblissement de sa santé, n’ont pas été reçus avec indifférence. Vous lui ferez donc savoir que sa majesté a reçu avec beaucoup d’intérêt les dernières informations arrivées sur son indisposition, et qu’elle a le plus vif désir de lui procurer tous les soulagemens que comporte sa situation. Vous lui donnerez l’assurance que toute l’assistance médicale qu’il pourra désirer sera mise à sa disposition, et qu’il n’est pas d’arrangement compatible avec la sûreté de la garde de sa personne (sa majesté ne pouvant en ce moment lui donner l’espérance d’être éloigné de Sainte-Hélène) auquel elle ne se prête avec empressement, s’il peut en résulter quelque adoucissement à ses souffrances. »

Je doute que Napoléon eût été fort touché de ces protestations de bienveillance ; suivant toute apparence, elles n’étaient pas encore arrivées à Sainte-Hélène lorsqu’il rendit le dernier soupir, le 5 mai, un peu avant six heures du matin, au milieu d’un effroyable ouragan. C’est seulement quelques jours avant sa mort que, cédant aux pressantes instances de ses serviteurs, il avait enfin consenti à voir le principal médecin de l’île, le docteur Arnott, dont sir Hudson Lowe lui offrait depuis si longtemps les secours, et qui, pas plus que le docteur Antonmarchi, ne reconnut d’abord, ni l’imminence du danger, ni la nature de la maladie.

Sir Hudson Lowe dut se rendre à Longwood pour constater officiellement le décès de l’empereur. Il put enfin contempler mort le grand homme qui, depuis cinq années, soumis à son pouvoir absolu, l’avait banni de sa présence. En se retirant, il témoigna ainsi les impressions qu’il venait de recevoir de cette dernière et solennelle visite : « Messieurs, dit-il aux officiers qui l’accompagnaient, c’était le plus grand ennemi de l’Angleterre ; c’était aussi le mien, mais je lui pardonne tout. À la mort d’un aussi grand homme, on ne doit éprouver que tristesse et profond regret. » Ce peu de paroles, qui expriment