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si nouvelles auxquelles il s’abandonnait. Incapable de supporter patiemment la contradiction la plus légère, il tuait à coups de fusil les animaux dont l’apparition inattendue venait le troubler au milieu de ses travaux. On le vit abattre ainsi non-seulement des oiseaux domestiques, mais, des chevreuils, des bœufs même, sans trop s’inquiéter du sentiment pénible que pouvaient en éprouver les propriétaires de ces animaux, qui appartenaient pour la plupart à quelqu’une des personnes de sa suite. Il prit goût peu à peu à cette espèce de chasse, et en rechercha les occasions. Comme il y mettait assez peu de précautions, les Anglais conçurent la crainte qu’il n’en résultât quelque grave accident. Sir Hudson Lowe en rendit compte à Londres ; on consulta les avocats de la couronne pour savoir ce qu’il y aurait à faire judiciairement dans le cas où une créature humaine viendrait à tomber sous les coups mal dirigés de Napoléon : on ne dit pas quelle fut leur réponse.

Le ministère anglais avait appris avec une vive satisfaction le nouveau genre de vie adopté par son prisonnier, et dont on pouvait conclure qu’il se résignait à sa destinée. Lord Bathurst écrivit au gouverneur une lettre dont je crois devoir citer les termes, parce que c’est peut-être la première pièce émanant de ce ministre qui exprime une courtoisie tant soit peu bienveillante envers Napoléon : « Comme il résulte de vos dernières dépêches, y est-il dit, que le général Bonaparte trouve depuis quelque temps beaucoup d’amusement à perfectionner le jardin de Longwood et à y cultiver des plantes et des arbrisseaux, il sera bon que vous saisissiez la première occasion de lui témoigner le plaisir qu’aurait le gouvernement de sa majesté britannique à faire tout ce qui est en son pouvoir pour lui venir en aide. Faites-le donc savoir en temps opportun au général Bonaparte, et donnez-lui l’assurance que, s’il existe au Cap ou dans quelque autre établissement anglais ou en Angleterre même des plantes qu’il désire ajouter à celles qu’il possède, aucun effort ne me coûtera pour me les procurer et les envoyer à Sainte-Hélène par la voie la plus prompte. »

Cette offre n’eut pas de suite : le goût du jardinage avait déjà quitté Napoléon ; mais il ne revint pourtant pas à ses habitudes de réclusion. Il reprit ses courses à cheval depuis si longtemps interrompues, et lorsque sa santé toujours déclinante les lui eut rendues difficiles ou même impossibles, il les remplaça par des promenades en calèche. Dans une de ces promenades, il fit même ce qui ne lui était pas arrivé jusqu’alors : il s’arrêta dans une maison de campagne appartenant à un sujet anglais, s’y fit servir à déjeuner, et s’entretint familièrement avec les maîtres de la maison.

Ce qui prouve mieux encore que tout ce que je viens de raconter