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avaient toujours travaillé à l’irriter et à l’aigrir. Cette conjecture peut ne pas être dénuée de fondement, mais d’autres causes suffiraient à expliquer le changement dont il s’agit. La santé et les forces de l’empereur déclinaient, ce qui, sans qu’il s’en rendit peut-être bien compte, devait rendre moins ardent en lui le désir de recouvrer une liberté d’action dont il n’était plus en état de faire beaucoup d’usage. Les années écoulées, la direction que prenaient les affaires de l’Europe, ne pouvaient manquer d’ailleurs d’affaiblir les illusions qu’il s’était faites d’abord sur la possibilité d’un prompt retour de fortune en faveur du système et des idées dont il avait été le représentant ; ce n’était pas un esprit tel que le sien qui pouvait se persuader que le libéralisme ardent auquel l’Europe commençait à se livrer préparât les voies à une résurrection prochaine du bonapartisme.

Quoi qu’il en soit, tout l’ensemble de sa conduite parut alors indiquer, non pas sans doute qu’il renonçait d’une manière absolue à l’espoir de quitter Sainte-Hélène (quelques mois avant sa mort il faisait encore écrire à lord Liverpool pour demander d’être ramené en Europe), mais qu’il se résignait à la nécessité, et que, si sa prison ne pouvait pas être changée, il ne lui serait pas indifférent qu’elle reçût des améliorations. On travaillait depuis longtemps à lui construire une maison plus commode que celle qu’il occupait. Jusqu’à cette époque, en dépit des instances réitérées de sir Hudson Lowe, il s’était opiniâtrement refusé à intervenir dans les arrangemens intérieurs de cette maison et à donner la moindre indication sur ses convenances personnelles, comme s’il eût craint de sanctionner par cette intervention le fait de sa captivité. Bien que ces refus systématiques eussent eu pour résultat de retarder les travaux, ils touchaient pourtant à leur terme. On vit tout à coup Napoléon s’enquérir avec intérêt de ces arrangemens, dont il avait jusque-là dédaigné de prendre connaissance, et y demander même des modifications auxquelles on se prêta avec empressement. Il y avait déjà quelque temps qu’un grand changement s’était fait dans ses habitudes. Après s’être tenu pendant plusieurs années presque constamment renfermé dans son appartement, il sortit de cette clôture pour se promener tous les jours dans son jardin. La passion de l’horticulture s’empara de lui, et il y porta la fougue habituelle de sa volonté. Il se mit à bouleverser l’étroit terrain dont il pouvait disposer avec la même impétuosité qu’il avait jadis bouleversé l’Europe, à planter, à déraciner, à arroser de ses propres mains. Tous ses serviteurs durent s’associer à ses travaux, sans en excepter un abbé que le cardinal Fesch lui avait envoyé en qualité de chapelain.

Le caractère de Napoléon se retrouvait jusque dans les distractions