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part avant de se décider à les expulser comme il avait expulse M. de Las-Cases, d’éviter toutes les occasions de querelles, de ne pas s’engager avec les prisonniers dans des correspondances prolongées, de se prêter avec empressement à toute tentative de rapprochement, de faire droit autant que possible à tous les griefs, ne fussent-ils qu’apparens, enfin de pourvoir avec un soin extrême au bien-être des habitans de Longwood, afin de déjouer la tactique qui consisterait, de leur part, à appeler l’intérêt sur eux-mêmes et l’indignation sur leurs gardiens en se laissant manquer du nécessaire. On avait pu remarquer en effet, en plusieurs occasions, qu’ils mettaient une affectation évidente à dissimuler pendant quelque temps l’insuffisance ou la mauvaise qualité de certains approvisionnemens qui leur étaient fournis, se réservant de les signaler plus tard avec une bruyante exagération comme un témoignage de l’abandon où on les laissait.

Telles sont en résumé les instructions données à sir Hudson Lowe par lord Bathurst et son sous-secrétaire d’état, M. Goulburn, dans vingt dépêches écrites en 1817, 1818 et 1810. Ces dépêches ne peuvent d’ailleurs laisser aucun doute sur les mobiles réels de cette politique plus modérée. On y chercherait en vain la trace d’une impulsion généreuse ou élevée. Pour donner la mesure des sentimens qui les ont dictées, j’en extrairai quelques lignes qui me paraissent éminemment caractéristiques. Lord Bathurst, après avoir invité le gouverneur à revenir sur les réductions qu’il s’était vu forcé de faire dans les dépenses de table de Napoléon, ajoutait dans un langage d’une vulgarité vraiment révoltante : « Il serait d’une mauvaise politique de le priver des plaisirs de la table, et il doit vivre comme vivrait un officier-général aimant le bien-être… Je ne pense pas qu’il existe en ce pays aucune disposition, excepté parmi ceux qui désirent le voir s’échapper, à se plaindre de ce qu’on le tient serré de près, pourvu qu’on lui fasse faire bonne chère, qu’il soit bien logé et qu’on le traite avec les égards dus à son malheur. »

Sir Hudson Lowe redoubla d’efforts pour atteindre le but qu’il s’était toujours proposé, celui d’alléger à Napoléon le poids nécessairement si lourd de sa captivité et de calmer son exaspération. Le succès complet d’une telle entreprise n’était pas possible, il semble pourtant qu’elle ne fut pas tout à fait sans résultat. Les explications pénibles, les scènes violentes devinrent plus rares. À plusieurs reprises, M. de Montholon, qui composait alors, avec le général Bertrand, toute la cour impériale, remercia le gouverneur de ses auditions, et lui donna même l’assurance que l’empereur n’y était pas insensible. Sir Hudson Lowe crut devoir attribuer, au moins en partie, ces dispositions plus calmes de l’esprit de Napoléon à l’éloignement de M. de Las-Cases et du docteur O’Meara, qui, suivant lui,