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me parlait avec une excessive rapidité et un vif sentiment d’irritation contre ceux dont il allait se séparer ; mais comme il aurait pu penser plus tard que j’avais tiré un avantage illégitime de l’état où il se trouvait pour l’exciter à des révélations que, dans d’autres momens, il eût été moins disposé à faire, je ne l’ai pas encouragé à continuer sur ce ton, et plus tard il a exprimé à l’officier que j’avais chargé de l’accompagner sa reconnaissance de la délicatesse que j’avais mise dans mon entretien avec lui. »

Les détails sur lesquels je m’appesantis ainsi sont peu importans en eux-mêmes sans doute ; ils prouvent seulement que sir Hudson Lowe avait le sentiment des convenances et des égards dus au malheur, mais c’est précisément ce qu’on a voulu lui contester et ce qu’il m’a paru juste d’établir.


IV

Le temps s’écoulait, les passions politiques se calmaient peu à peu, ou plutôt, comme il arrive d’ordinaire, elles prenaient une autre direction par suite des événemens nouveaux qui commençaient à agiter l’Europe. Le nom de Napoléon n’avait pas cessé d’être l’épouvantail des rois, la crainte de le voir s’échapper à bord d’un des bâtimens de commerce auxquels on ne pouvait absolument interdire l’accès de l’île de Sainte-Hélène préoccupait toujours les gouvernemens ; mais l’empereur captif n’était plus au même degré qu’en 1815 l’objet de la haine et du ressentiment des peuples, et les ministres anglais eux-mêmes commencèrent bientôt à comprendre que l’opinion n’approuverait pas les traitemens trop sévères qu’on lui ferait subir. Cette conviction, sans modifier beaucoup leurs sentimens personnels, eut pour effet de les amener à des ménagemens qui avaient toujours été dans la pensée de sir Hudson Lowe. Non contens de renoncer, comme je l’ai dit, aux mesquines économies qu’ils lui avaient ordonnées, ils en vinrent à lui laisser à peu près carte blanche pour les dépenses qu’il jugerait utiles. Ils l’engagèrent même à se désister, autant que la prudence le permettrait, des restrictions de diverse nature qui irritaient tant Napoléon, auxquelles il se dérobait par une réclusion presque absolue, et qui, en l’empêchant ainsi de se livrer à des exercices, à des distractions indispensables à sa santé, pouvaient abréger son existence. Naguère on trouvait excessif le nombre des serviteurs dont l’empereur déchu était entouré ; maintenant on craignait au contraire que ceux qui lui tenaient encore compagnie ne voulussent s’éloigner, et qu’il ne restât dans un isolement trop pénible ; on recommandait au gouverneur de supporter beaucoup de mauvais procédés de leur