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sous une enveloppe particulière avec un billet ainsi conçu : « Je considère comme un devoir de vous envoyer cette gazette à part de toutes les autres, de peur qu’elle ne tombe de prime-abord sous les yeux de la comtesse Bertrand. Un esprit à l’épreuve des événemens peut lire avec calme la nouvelle qu’elle contient, et comme il faut bien qu’elle finisse par arriver à votre connaissance, j’ai pensé qu’il valait mieux vous la faire parvenir sans retard pour diminuer autant que possible le sentiment pénible que votre famille aurait éprouvé en apprenant sans préparation l’arrêt rendu en France. C’est avec un sentiment bien douloureux que je me rends l’organe de cette communication. »

Pour apprécier comme il convient le ton de ce billet, il ne faut pas oublier la nature des rapports qui existaient entre sir Hudson Lowe et le général Bertrand.

À peu près à la même époque, écrivant à ce même général pour lui annoncer que l’amiral Plampin désirait être présenté à Longwood par son prédécesseur sir Pulteney Malcolme, qui voulait lui-même, avant de s’embarquer pour l’Angleterre, faire ses adieux à Napoléon, le gouverneur en prenait occasion de faire entendre avec beaucoup de dignité et de convenance qu’en ce qui le concernait personnellement, il serait heureux de rentrer en relations directes avec son illustre captif pour peu qu’on lui en laissât entrevoir le désir. « Si je ne propose pas, disait-il, d’accompagner l’amiral dans cette visite comme j’ai, dans le temps, accompagné son prédécesseur, je vous prie, monsieur le comte, de ne pas laisser ignorer que ce n’est en aucune façon faute d’une courtoisie que je considère comme un de mes devoirs, mais par suite de l’idée que la présentation de l’amiral Plampin dans la forme que je viens de suggérer… serait à tout autre égard plus agréable. Si cependant je me trompais, je vous prie de me le faire savoir pour que je puisse agir en conséquence. » A une avance aussi marquée, le général Bertrand répondit sèchement que l’empereur recevrait les deux amiraux.

Un des prisonniers de Longwood, le général Gourgaud, brouillé avec ses compagnons et avec l’empereur lui-même, dont il croyait avoir beaucoup à se plaindre, se préparait à quitter Sainte-Hélène : il eut avec le gouverneur un entretien dans lequel, emporté par son ressentiment, il se laissa aller à des confidences peu convenables dans sa position. Bien d’autres, à la place de sir Hudson Lowe, auraient cru rester dans les limites de la plus scrupuleuse loyauté en profitant de cet entraînement non provoqué pour obtenir d’utiles informations sur les pensées secrètes et les projets des prisonniers. Il n’en jugea pas ainsi. Voici en quels termes il rendit compte à lord Bathurst de cette conversation : « Le général Gourgaud