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étaient le résultat de leurs inspirations personnelles, et que la nation britannique, le prince régent lui-même, loin de s’associer à une telle malveillance, en eussent été profondément indignés, s’ils avaient connu toute la vérité. Napoléon mettait donc tout en œuvre pour circonvenir, pour capter ceux des fonctionnaires, des officiers et des voyageurs anglais qu’il avait occasion d’entretenir. On sait quel était au besoin son talent de séduction. L’auréole dont l’entouraient les souvenirs de son ancienne puissance et sa gloire incomparable lui donnait d’ailleurs une grande action sur les imaginations et sur les amours-propres. Sir Hudson Lowe, dont l’esprit défiant était naturellement tenu en éveil par la crainte de ne pas être soutenu dans l’accomplissement de ses pénibles devoirs et de se trouver seul exposé aux sévérités de l’opinion, crut bientôt apercevoir dans quelques officiers de la garnison une certaine tendance à se rapprocher plus qu’il ne lui convenait des habitans de Longwood. Il lui était facile de parer à cet inconvénient, mais l’attitude prise par le commandant de la station, sir Pulteney Malcolme, lui causa plus d’embarras et de souci, parce que l’amiral n’était pas soumis à son autorité, et qu’il n’aurait pu, sans un éclat compromettant, lui interdire des relations dont il était pourtant très contrarié. Il paraît que la contenance et les manières de cet officier général, bien différentes de celles du gouverneur, avaient un caractère de cordiale franchise qui rendait son commerce très agréable. Ce n’était pas sur lui d’ailleurs que pouvait retomber l’odieux des mesures qui causaient tant d’irritation à Napoléon. Aussi trouva-t-il à Longwood un accueil très caressant, où il entrait sans doute un peu de calcul. Il n’y fut pas insensible. Ses visites se multiplièrent, et toujours il était reçu avec empressement et familiarité. Il était difficile que sir Hudson Lowe, à qui les portes de Longwood étaient fermées, n’éprouvât pas quelque jalousie de la faveur si marquée qu’on témoignait à l’amiral. Il n’accusait pas précisément la loyauté de sir Pulteney Malcolme. qui, lorsque le gouverneur était trop vivement attaqué en sa présence, ne manquait jamais de prendre sa défense ; mais sir Hudson Lowe trouvait qu’il ne le faisait pas d’une manière assez absolue ni assez chaleureusement, il le soupçonnait de ne pas lui dire tout ce qui se passait dans ces entretiens si fréquens, et il trouvait peu convenable qu’un haut fonctionnaire anglais parût si assidûment dans un lieu où le gouvernement britannique et son représentant étaient sans cesse injuriés et outragés. Il craignait que cette assiduité et les ménagemens de langage qu’elle supposait n’eussent pour effet d’encourager l’opiniâtreté et les emportemens de Napoléon, en lui faisant espérer un appui et un interprète auprès du cabinet de Londres. Aussi, lorsque Napoléon, qui, par momens, semblait se fatiguer de ses luttes perpétuelles contre le gouverneur et chercher des moyens de