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coûter à l’Angleterre, mais qu’il fallait pour cela qu’on le laissât communiquer librement et par lettres fermées avec les personnes qui étaient, en Europe, les dépositaires de sa fortune. Sir Hudson Lowe n’ayant pu y consentir, parce qu’il lui était prescrit de ne transmettre les lettres de ses prisonniers qu’après en avoir pris connaissance, Napoléon fit briser et vendre son argenterie, comme pour proclamer bien haut que l’Angleterre le réduisait à cette dernière ressource. En réalité, aucune nécessité ne l’obligeait à y recourir ; ce n’était qu’un appel à l’opinion, une tentative, assez bien calculée, pour émouvoir les sympathies publiques. Sir Hudson Lowe se montra très contrarié d’un incident si malencontreusement préparé par la faute de son gouvernement.

On sait qu’il avait été interdit à Napoléon de se promener en dehors de certaines limites sans être accompagné par un officier anglais qui ne devait jamais le perdre de vue. Plutôt que de subir un assujettissement qui représentait trop vivement à son esprit son état de captivité, il préféra renoncer à l’exercice du cheval, que les médecins jugeaient nécessaire à sa santé. Sir Hudson Lowe s’ingénia vainement pendant plusieurs années à combiner, à proposer des termes moyens pour concilier avec les susceptibilités de Napoléon les précautions qu’exigeait sa responsabilité. Toutes ses tentatives d’accommodement furent repoussées.

Le règlement par lequel il avait cru devoir soumettre ceux qui voulaient visiter les hôtes de Longwood à se munir d’une autorisation émanée de lui ne suscita pas moins de contestations. Sir Hudson Lowe échoua encore dans ses essais de transaction ; Napoléon, plutôt que de se prêter à une formalité dans laquelle il voyait en quelque sorte un stigmate d’esclavage, renonça presque absolument aux relations qu’il s’était d’abord montré disposé à entretenir avec la société de l’île. Renfermé avec les siens dans sa triste demeure, où il n’admettait guère que le médecin O’Meara et l’amiral sir Pulteney Malcolme, commandant de la station navale depuis le départ de sir George Cockburne, sa solitude était à peine interrompue de loin en loin par la visite de quelques personnages de distinction qui touchaient à Sainte-Hélène en traversant l’Océan pour se rendre d’Angleterre aux Indes ou des Indes en Angleterre. Une curiosité facile à comprendre les portait à demander à être admis auprès de l’ancien maître du monde, de celui dont le nom avait rempli si longtemps toutes les bouches de la renommée. Quelquefois Napoléon, souffrant ou irrité, refusait de les recevoir ; le plus souvent au contraire il leur donnait audience, soit pour se distraire, soit surtout dans l’espérance d’agir sur leur esprit, de les convaincre de la réalité de ses griefs contre le gouverneur, contre le ministère anglais, et, par leur intermédiaire, de donner à ces griefs une grande publicité. Sir Hudson